vendredi 23 novembre 2012

SEANCE: TITRER LES NATURES MORTES



Donner un titre...

Deuxième séance de travail. Nous travaillons autour des Natures Mortes.  Au début nous nous consacrons à regarder ensemble les Natures Mortes les plus connues de l’histoire de l’art. L’idée c’est de commencer à entrainer notre regard. Regarder une œuvre d’art, c’est bien plus que se limiter à la voir : c’est essayer de la comprendre, de l’analyser, de la décrypter… De cette manière, nous commençons à entrainer notre regard sensible. Nous risquons nos regards. Nous le laissons prendre le temps d’aller se promener dans la peinture, de chercher, de trouver, de se dire : « tiens, t’as vu ça »… Nous essayons ainsi de nous introduire dans l’œuvre d’art pour la laisser s’introduire en nous.
 
De la peinture à la photographie en passant par des installations d’artistes peintres et les films des vidéo-artistes, nous avons passé un bon moment à essayer de comprendre qu’est-ce que c’est une Nature Morte et de quoi elle nous parle.
 
Ensuite je leur propose un travail d’écriture : nous allons donner des titres à dix Natures Mortes que j’ai choisies pour eux. La consigne est simple : se confronter à une image que je leur projette et à partir de différentes contraintes rapides que je leur lance, ils doivent lui trouver un titre. On s’exerce ainsi dans l’art de donner un titre, de présenter, de nommer : l’art de ce que j’appelle avec mes mot à moi « la puissance du baptême »…
 
Encore une fois toutes les classes m’épatent par leur rapidité, leur intelligence, leur humour, leur sensibilité et surtout par leur perméabilité au sujet principal que traite toute Nature Morte : la fragilité et la finitude de l’existence humaine…
 
Voici quelques exemples…



La musique silencieuse

Quatuor pour cordes seules

La fin d’autrefois

Bruit atroce

La musique sombre

Fin d’une mélodie

Mort de la musique

Le son muet

L’art du silence


 

Départ d’une femme

La beauté derrière des vêtements

Je pars, adieu…

Valise d’une femme

Les vêtements oubliés d’un amour perdu

Ma vie dans une seule boite

Identité d’une femme

Où vas-tu ?

Morte ou disparue ?
 
 

Fragilité

C’était hier

Immortels comme ce marbre

Fissure

Vies brisées

Vie fragile

Nous sommes comme ces verres…

Transparences

Pas touher

 

Les tournesols du malheur

Au sol

Pourquoi doit-on se faner ?

Hier encore ils vivaient

La beauté finie

Triste fin : pas de demain

J’ai vécu, maintenant je meurs

Mort au soleil

Hier ne sera jamais demain…

 

Lieu d’un crime

Assiette sang couteau

Meurtre dans les cuisines

Tu crois que c’est moi ?

Aie !

Le piment de la mort

Reflet suspect

Who has kill me?

Poignardée devant mon assiette

 

Massacre

Death or life ?

Violence

Amour et à mort

Les oiseaux meurent ensemble

Crime’s scene

Destruction comme en Palestine

Down

Un jour ça sera ton tour
 

 

Homard vaincu

Rage et repas

Le temps qui passe et qui nous pince…

La triste fin du Homard Rouge

Il n’y a plus de temps pour lui

Homard alors !

Omar débarque en France

Le homard et le citron

Homard m’a tué

 

Moi et la Mort

1,2,3 c’est la fin

Vivre, courir et mourir

Hier j’ai ressenti la mort

La fin pour la faim

On aurait pu m’éviter cela

Et j’ai vu la mort

Blessure

Hier c’est mon futur…

 

Game over

El silencio de la piel

Et si c’était moi ?

Décomposition

Pieds et mains

Cauchemar

Je suis mort

Humiliation

La belle lumière

 


Repas funèbre

Le monde à l’envers

La mort n’a aucun respect

Tu me fais tourner la tête…

Calme après la tempête

Et qu’y a-t-il après ?

Vide

La bougie de la vie

Je suis fait de temps
 
 
 
UNE PETITE REVOLUTION

Par David Corre

 

Une petite révolution ? Ou plutôt une lente mutation ? Un peu des deux, en fait. C’est ce à quoi nous avons été confrontés, lors de ce second atelier. Que s’est-il passé ? Sergio nous a surpris. Nous avons été saisis. Par ? Des natures mortes. Si, si. En ce début de XXIème siècle, des adolescents de 13 à 15 ans, gavés d’images variées, habitués à consommer les objets et à les jeter pour de plus clinquants, ont pris le temps de contempler, une heure durant, cinquante natures mortes.

Quoi de plus méprisé qu’une nature morte, pourtant ? Pourquoi s’arrêter à ce gibier qui ne courra plus ni ne nourrira personne ? Pourquoi observer cet oiseau qui jamais ne volera ni ne chantera ? Et ce couteau qui ne coupera pas et qu’aucune main ne saisira ? Ces vases, vides d’eau, pleins de fleurs sans odeur ? On leur passe devant, on leur jette à peine un œil. On les ignore, tout simplement. On a tort. Sergio nous a permis de comprendre cette erreur commune : il nous a forcé à regarder ce que nous ne voyions pas. Ces natures mortes ne sont pas des objets, elles les représentent seulement : cette table dressée n’attend nul convive – et en cela, elle ne s’adresse à nos sens que par notre imagination. Ennemi intérieur. Cheval de Troie. Ainsi avons-nous été pris au piège de la représentation : image après image, tableau après tableau, l’œil s’est musclé, le regard s’est affûté, et enfin, nous avons pu voir ce qu’il y avait à voir. Ceci n’est pas une pipe, certes, et si le mot « chien » ne mord pas, certains ont commencé à saisir qu’il y a néanmoins toujours un chien, en nous, prêt à mordre, à aboyer, à japper.

« Le début et la fin de toute activité artistique est la reproduction du monde autour de moi au moyen du monde en moi », dit Goethe, et au moment où, peu à peu, le regard s’aiguisait et où le poison-monde pénétrait notre organisme, le malaise a grandi en nous, il est monté, imperceptiblement, comme une marée.

Car Sergio nous a fait violence, en nous exposant : la mort, la disparition, le temps qui passe. Pourritures et leurs mouches. Crânes luisant de propreté. Vanité des vanités. Face à cela, même les jeunes, pleins de leur vie et de leur éternité, forts de leur avenir et de leurs appétits, même eux ont été gagnés par les forces du délitement et de la disparition.

Alors, au paroxysme de la nervosité et du malaise, Sergio ralluma la lumière, après avoir créé l’attention et l’attente nécessaires pour que la parole vînt se loger et libérer le trop-plein de tension.

Oh, pas grand-chose : juste des titres ! Pas de longs textes. Pas de grands mots qui cherchent à exprimer le maelström d’émotions et de pensées, non. Juste des titres. Juste des clefs offertes pour permettre aux autres d’entrer dans la résonance que l’œuvre créait en nous.

Une nouvelle fois, Sergio s’est frayé un passage en chacun de nous, et, par ce passage, nous avons pu proposer nos mots, les lancer comme des grenades dégoupillées pour faire céder le malaise, pour nous débarrasser de notre tension interne. À coups de jeux de mots, armé d’humour, chacun a révélé un pan de son monde, chacun a révélé ce que les objets étaient devenus en entrant en lui. On a beaucoup ri – probablement ne rirons-nous jamais plus autant à aucune séance.

C’est ce qui arrive quand on objective les objets.


NATURE MORTE de SAM TAYLOR

 

samedi 17 novembre 2012

SEANCE : LE GESTE DE L'ECRITUE

 
Premier geste...

Première séance de travail. On se rencontre. On se présente. On fait connaissance. On a tous un peu peur. On se regarde les uns les autres. On est tous un peu tendus. Moi le premier. J’aime les découvrir. Les rencontrer. J’essaie de leur transmettre cette joie… La joie de savoir que pendant quelques mois, on va se lancer tous ensemble dans une aventure, à la fois  fascinante et périlleuse : la découverte de l’écriture…  Fascinante car elle nous permettra d’accéder à des zones inconnues au fond de nous-mêmes… Périlleuse pour cette même raison… Ecrire, c’est partir à la recherche de notre intériorité : plaisir du risque, passion du péril, ferveur du danger…

Lors de cette première séance j’essaie de les rassurer en leur faisant comprendre que toute parole sera accueillie. Je partirai toujours de l’écriture de chacun telle qu’elle est. « Je ne vais rien vous apprendre ». Je leur répète sans cesse : « Je suis aussi ignorant que vous ». Ils me regardent avec de grands yeux, puis je leur explique : « Mon travail, c’est de vous conduire vers votre propre écriture ». « Et après ? », me demande un élève du fond de la classe. « Après, je partirai »...

Premier travail d’écriture : chacun choisit un groupe de mots et les donne à son voisin qui, à partir d’un tableau, devra écrire un texte intégrant ces mots. Peu à peu, les élèves se mettent à écrire, tous, chacun devant une peinture différente… Soudainement, le geste de l’écriture apparaît…

Voici quelques résultats…









PREMIERS TEXTES



Cézanne
« Une image sans vie. Une image digne d’une fin du monde où il ne reste plus rien…», Jonahtan, 3°D, Collège Victor Hugo

 

Georges de la Tour
« Femme solitude. Elle est calme. Elle cogite toute seule. La nuit. Elle est assise devant une tête de mort. Elle se regarde dans le miroir. Insomnie. » Mickaël, 3°A, Collège Henri IV





Picasso
« Cette peinture de Picasso représente pour moi trois mots : guerre, violence et tristesse. » Jennifer, 3°1, Collège Pierre Brossolette




Manet
« Dame qui regarde la ville par la fenêtre... Au milieu de la nuit, pensive et triste, on dirait qu’elle lutte contre la fatigue. » Elodie, 3°3, Collège Théodore Monod


Jaques-Louis David
« Un révolutionnaire endormi à jamais… Une catastrophe s’est produite et à ce moment là, un climat terrifiant s’est installé. Impression d’apocalypse. » Jaianne, 3°D, Collège Victor Hugo

 
Dalí
« En arrière plan un paysage maritime, et devant nous, toutes ces montres fondantes pour exprimer peut-être le temps perdu… Le temps perdu à faire des choses futiles et superficielles... » Gwendal, 3°3, Collège Théodore Monod

 
Hopper
« Cette maison abandonnée semble attendre ce soldat qui n’a, durant toutes ces années de guerre, que rêvé de son retour sur un voilier. Le fleuve calme avant l’arrivée au port puis le train jusqu’à la maison Hopper. » Philippe, professeur d’EPS, Collège Henri IV

 
Botticelli
« Des femmes, des arbres et un ange... Pas d’arme ni de froid… Ce n’est pas la guerre mais plutôt le Paradis…» Alicia, 3°1, Collège Pierre Brossolette

 
Monet
« Devant moi le soleil se couche dans un port. Devant moi, la mer de bois cassée de mystère et de suspens. » Anissa, 3°D, Collège Victor Hugo

 
Magritte
« Je peux voir un homme assez grand avec des cheveux très foncés, noirs. Près de lui est déposé un livre.  La lumière est très présente et laisse penser qu’à l’extérieur tout est blanc… Il neige ? L’homme tente de regarder son reflet dans le miroir comme si c’était de l’eau mais il n’aperçoit que son dos. Dans le désespoir, il vient de se tuer avec une arme. » Manon, 3°A, Collège Henri IV

 
Antonello da Messina
« Une fenêtre. Des livres. Un chien. Un oiseau. Un homme. Il est seul. Il a l’air triste. Tout est sombre. Destruction… » Roland, 3°3, Collège Théodore Monod

 
Rubens
« Cet homme âgé, tenant dans ses bras un enfant en bas âge, marchait lentement en direction du temple surplombant la colline de la ville. Il avait des cheveux longs et sa démarche indiquait que sa jambe droite lui faisait mal. Intrigué par cet homme étrange, j’entrepris de le suivre. Une fois au temple, je vis que le vieillard commençait à planter ses dents dans la poitrine de l’enfant qui était son fils. Horrifiée j’ai dû me retenir de pousser un cri. Le regard de l’enfant me hante encore… » Célia, 3°1, Collège Pierre Brossolette

 
Degas
« Elle a prit le temps et le soin de s’apprêter à la vue des autres. Pensive, elle imagine,  elle s’imagine… » Naomie, 3°D, Collège Victor Hugo

 
De Chirico
« Je vois se préparer un événement historique devant ce vieux temple. Deux hommes se promènent dans cette cour avant une guerre terrible. On ressent la peur dans leurs visages. Cet endroit est paisible. Mais au fond la voile d’un bateau annonce une fureur sous un ciel orageux. » Yanis, 3°A, Collège Henri IV

 
Bosch
« Au milieu de ce paysage vide, des hommes et des femmes cherchent à avoir un peu de nourriture… Ils ont l’air si affamés qu’ils pourraient bientôt commencer à faire une guerre. » Daniella, 3°1, Collège Pierre Brossolette

 
Vermeer
« Elle a l’air triste et solitaire... Mais elle trouve la liberté dans cette lettre. » Warda, 3°3, Collège Théodore Monod
 
 
 
 
PREMIER CONTACT

Par David Corre


On parle souvent du premier contact des corps. On a beaucoup écrit à son sujet. On l’a filmé à l’envi. On le cherche, tous, ou on l’a beaucoup évité. Dans ce premier contact, il faut choisir : corps-à-corps amoureux ou corps-à-corps guerrier ? Premier choc ou premier enlacement –finalement, c’est égal ! La peau de l’un rencontre toujours la peau de l’autre, les formes de l’un épousent les formes de l’autre. Ce sont toujours deux corps qui se touchent, se découvrent.

Dans la première étreinte : la hanche frôle la hanche, la main se loge dans le creux des reins, une poitrine effleure un torse. C’est attirer et étreindre – trouver un nouvel équilibre, à deux.

Dans l’assaut : l’épaule entre dans le ventre, la main saisit le poignet, ou la cuisse, ou le creux du genou. Il faut pousser et tirer – chercher à rompre l’équilibre. Dans un cas, on s’approche puis on s’abandonne plus ou moins. Dans l’autre, on se heurte, on essaie de l’emporter sur l’autre.
 
***

Ce mardi, ce fut, pour nous aussi, le premier contact. Quel serait-il ? Nous attendions de constater par où les corps se toucheraient en premier. Et dans quel sens se ferait le mouvement.

La surprise fut complète pour les enseignants présents – les trois adultes qui se tenaient aux côtés des élèves pour ce premier atelier. Évidemment, les corps ne se touchèrent pas là où nous pouvions l’attendre. Bien entendu…

***



D’abord, il ne fallait pas écrire – tout est resté oral. Sergio s’est présenté, a posé les limites, a défini les sujets d’intérêt : écriture, natures mortes, paysages ou portraits. Trois pôles d’intérêt, trois échelles, trois manières de regarder. La parole a commencé à se libérer, tout doucement.

Ensuite on a pu jouer, avec des images et des textes, d’abord, puis des ciseaux et de la colle. C’est alors que le piège s’est refermé sur nous et que les mots ont pu entrer en scène : Sergio a demandé qu’on invoque des mots. Flottement dans l’assistance. Faut écrire quoi ? Coup d’œil à gauche. À droite. Qu’est-ce qu’il faut mettre ? En arrière-plan, on pouvait percevoir la peur de la note, la peur du jugement, la mauvaise habitude de penser qu’il y a une bonne réponse – une et une seule !

Deuxième surprise, les feuilles tournèrent : les mots péniblement décrochés de soi et couchés sur sa feuille ne serviraient qu’aux autres ! Regards lourds vers le voisin de droite, chuchotements réprobateurs : c’est tout ce que t’as trouvé comme mots ? Mais qu’est-ce que tu veux que je fasse avec ça ? Regrets des beaux mots qu’on avait choisis, et qui serviraient au voisin de gauche : dis pas merci, surtout ! T’as vu ce que je t’ai donné ?

Alors nous sommes entrés dans l’écriture proprement dite, avec les mots qu’on nous avait donnés, puis la lecture devant tous. Ultime dévoilement de soi – premier d’une longue série ! Des surprises. De bonnes surprises : chacun avec sa sensibilité, chacun avec sa personnalité.

Les mots sont sortis, pour leur première séance. Ils ont pointé le bout de leur nez, timidement, prudemment, pour le premier contact.



Ecrit d'un élève