Deuxième séance de travail. Nous travaillons autour des Natures Mortes. Au début nous nous consacrons à regarder ensemble les Natures Mortes les plus connues de l’histoire de l’art. L’idée c’est de commencer à entrainer notre regard. Regarder une œuvre d’art, c’est bien plus que se limiter à la voir : c’est essayer de la comprendre, de l’analyser, de la décrypter… De cette manière, nous commençons à entrainer notre regard sensible. Nous risquons nos regards. Nous le laissons prendre le temps d’aller se promener dans la peinture, de chercher, de trouver, de se dire : « tiens, t’as vu ça »… Nous essayons ainsi de nous introduire dans l’œuvre d’art pour la laisser s’introduire en nous.
Donner un titre... |
Deuxième séance de travail. Nous travaillons autour des Natures Mortes. Au début nous nous consacrons à regarder ensemble les Natures Mortes les plus connues de l’histoire de l’art. L’idée c’est de commencer à entrainer notre regard. Regarder une œuvre d’art, c’est bien plus que se limiter à la voir : c’est essayer de la comprendre, de l’analyser, de la décrypter… De cette manière, nous commençons à entrainer notre regard sensible. Nous risquons nos regards. Nous le laissons prendre le temps d’aller se promener dans la peinture, de chercher, de trouver, de se dire : « tiens, t’as vu ça »… Nous essayons ainsi de nous introduire dans l’œuvre d’art pour la laisser s’introduire en nous.
De la peinture à la photographie en passant par des
installations d’artistes peintres et les films des vidéo-artistes, nous avons
passé un bon moment à essayer de comprendre qu’est-ce que c’est une Nature Morte
et de quoi elle nous parle.
Ensuite je leur propose un travail
d’écriture : nous allons donner des titres à dix Natures Mortes que j’ai
choisies pour eux. La consigne est simple : se confronter à une image que
je leur projette et à partir de différentes contraintes rapides que je leur
lance, ils doivent lui trouver un titre. On s’exerce ainsi dans l’art de donner
un titre, de présenter, de nommer : l’art de ce que j’appelle avec mes mot
à moi « la puissance du baptême »…
Encore une fois toutes les classes m’épatent par
leur rapidité, leur intelligence, leur humour, leur sensibilité et surtout par
leur perméabilité au sujet principal que traite toute Nature Morte : la
fragilité et la finitude de l’existence humaine…
Voici quelques exemples…
La musique silencieuse
Quatuor pour cordes seules
La fin d’autrefois
Bruit atroce
La musique sombre
Fin d’une mélodie
Mort de la musique
Le son muet
L’art du silence
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Fragilité
C’était hier
Immortels comme ce marbre
Fissure
Vies brisées
Vie fragile
Nous sommes comme ces verres…
Transparences
Pas touher
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Lieu d’un crime
Assiette sang couteau
Meurtre dans les cuisines
Tu crois que c’est moi ?
Aie !
Le piment de la mort
Reflet suspect
Who has kill me?
Poignardée devant mon assiette
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Massacre
Death or life ?
Violence
Amour et à mort
Les oiseaux meurent ensemble
Crime’s scene
Destruction comme en Palestine
Down
Un jour ça sera ton tour
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Moi et la Mort
1,2,3 c’est la fin
Vivre, courir et mourir
Hier j’ai ressenti la mort
La fin pour la faim
On aurait pu m’éviter cela
Et j’ai vu la mort
Blessure
Hier c’est mon futur…
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Game over
El silencio de la piel
Et si c’était moi ?
Décomposition
Pieds et mains
Cauchemar
Je suis mort
Humiliation
La belle lumière
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Repas funèbre
Le monde à l’envers
La mort n’a aucun respect
Tu me fais tourner la tête…
Calme après la tempête
Et qu’y a-t-il après ?
Vide
La bougie de la vie
Je suis fait de temps
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UNE
PETITE REVOLUTION
Par David Corre
Une petite révolution ? Ou plutôt une lente
mutation ? Un peu des deux, en fait. C’est ce à quoi nous avons été
confrontés, lors de ce second atelier. Que s’est-il passé ? Sergio nous a
surpris. Nous avons été saisis. Par ? Des natures mortes. Si, si. En ce
début de XXIème siècle, des adolescents de 13 à 15 ans, gavés d’images variées,
habitués à consommer les objets et à les jeter pour de plus clinquants, ont
pris le temps de contempler, une heure durant, cinquante natures mortes.
Quoi de plus méprisé qu’une nature morte,
pourtant ? Pourquoi s’arrêter à ce gibier qui ne courra plus ni ne
nourrira personne ? Pourquoi observer cet oiseau qui jamais ne volera ni
ne chantera ? Et ce couteau qui ne coupera pas et qu’aucune main ne
saisira ? Ces vases, vides d’eau, pleins de fleurs sans odeur ? On
leur passe devant, on leur jette à peine un œil. On les ignore, tout
simplement. On a tort. Sergio nous a permis de comprendre cette erreur commune :
il nous a forcé à regarder ce que nous ne voyions pas. Ces natures mortes ne
sont pas des objets, elles les représentent seulement : cette table
dressée n’attend nul convive – et en cela, elle ne s’adresse à nos sens que par
notre imagination. Ennemi intérieur. Cheval de Troie. Ainsi avons-nous été pris
au piège de la représentation : image après image, tableau après tableau,
l’œil s’est musclé, le regard s’est affûté, et enfin, nous avons pu voir ce
qu’il y avait à voir. Ceci n’est pas une pipe, certes, et si le mot
« chien » ne mord pas, certains ont commencé à saisir qu’il y a néanmoins
toujours un chien, en nous, prêt à mordre, à aboyer, à japper.
« Le début et la fin de toute activité
artistique est la reproduction du monde autour de moi au moyen du monde en
moi », dit Goethe, et au moment où, peu à peu, le regard s’aiguisait et où
le poison-monde pénétrait notre organisme, le malaise a grandi en nous, il est
monté, imperceptiblement, comme une marée.
Car Sergio nous a fait violence, en nous exposant :
la mort, la disparition, le temps qui passe. Pourritures et leurs mouches.
Crânes luisant de propreté. Vanité des vanités. Face à cela, même les jeunes,
pleins de leur vie et de leur éternité, forts de leur avenir et de leurs
appétits, même eux ont été gagnés par les forces du délitement et de la
disparition.
Alors, au paroxysme de la nervosité et du malaise,
Sergio ralluma la lumière, après avoir créé l’attention et l’attente
nécessaires pour que la parole vînt se loger et libérer le trop-plein de
tension.
Oh, pas grand-chose : juste des titres !
Pas de longs textes. Pas de grands mots qui cherchent à exprimer le maelström
d’émotions et de pensées, non. Juste des titres. Juste des clefs offertes pour
permettre aux autres d’entrer dans la résonance que l’œuvre créait en nous.
Une nouvelle fois, Sergio s’est frayé un passage en
chacun de nous, et, par ce passage, nous avons pu proposer nos mots, les lancer
comme des grenades dégoupillées pour faire céder le malaise, pour nous
débarrasser de notre tension interne. À coups de jeux de mots, armé d’humour,
chacun a révélé un pan de son monde, chacun a révélé ce que les objets étaient
devenus en entrant en lui. On a beaucoup ri – probablement ne rirons-nous
jamais plus autant à aucune séance.
C’est ce qui arrive quand on objective les objets.
NATURE MORTE de SAM TAYLOR