Premier geste... |
Première séance de travail. On se rencontre. On se présente. On fait connaissance. On a tous un peu peur. On se regarde les uns les autres. On est tous un peu tendus. Moi le premier. J’aime les découvrir. Les rencontrer. J’essaie de leur transmettre cette joie… La joie de savoir que pendant quelques mois, on va se lancer tous ensemble dans une aventure, à la fois fascinante et périlleuse : la découverte de l’écriture… Fascinante car elle nous permettra d’accéder à des zones inconnues au fond de nous-mêmes… Périlleuse pour cette même raison… Ecrire, c’est partir à la recherche de notre intériorité : plaisir du risque, passion du péril, ferveur du danger…
Lors de cette première séance j’essaie de les rassurer en leur faisant comprendre que toute parole sera accueillie. Je partirai toujours de l’écriture de chacun telle qu’elle est. « Je ne vais rien vous apprendre ». Je leur répète sans cesse : « Je suis aussi ignorant que vous ». Ils me regardent avec de grands yeux, puis je leur explique : « Mon travail, c’est de vous conduire vers votre propre écriture ». « Et après ? », me demande un élève du fond de la classe. « Après, je partirai »...
Premier travail d’écriture : chacun choisit un groupe de mots et les donne à son voisin qui, à partir d’un tableau, devra écrire un texte intégrant ces mots. Peu à peu, les élèves se mettent à écrire, tous, chacun devant une peinture différente… Soudainement, le geste de l’écriture apparaît…
Voici quelques résultats…
PREMIERS TEXTES
« Une image sans vie. Une image digne d’une
fin du monde où il ne reste plus rien…», Jonahtan, 3°D, Collège Victor Hugo
Georges de la Tour |
« Femme solitude. Elle est calme. Elle
cogite toute seule. La nuit. Elle est assise devant une tête de mort. Elle se
regarde dans le miroir. Insomnie. » Mickaël, 3°A, Collège Henri IV
Picasso |
Manet |
« Dame qui regarde la ville par la
fenêtre... Au milieu de la nuit, pensive et triste, on dirait qu’elle lutte
contre la fatigue. » Elodie, 3°3, Collège Théodore Monod
Jaques-Louis David |
« Un révolutionnaire endormi à
jamais… Une catastrophe s’est produite et à ce moment là, un climat
terrifiant s’est installé. Impression d’apocalypse. » Jaianne, 3°D, Collège
Victor Hugo
Dalí |
« En arrière plan un paysage maritime, et
devant nous, toutes ces montres fondantes pour exprimer peut-être le temps
perdu… Le temps perdu à faire des choses futiles et superficielles... »
Gwendal, 3°3, Collège Théodore Monod
Hopper |
« Cette maison abandonnée semble attendre ce
soldat qui n’a, durant toutes ces années de guerre, que rêvé de son retour sur
un voilier. Le fleuve calme avant l’arrivée au port puis le train jusqu’à la
maison Hopper. » Philippe, professeur d’EPS, Collège Henri IV
Botticelli |
« Des femmes, des arbres et un ange... Pas
d’arme ni de froid… Ce n’est pas la guerre mais plutôt le Paradis…» Alicia,
3°1, Collège Pierre Brossolette
Monet |
« Devant moi le soleil se couche dans
un port. Devant moi, la mer de bois cassée de mystère et de suspens. »
Anissa, 3°D, Collège Victor Hugo
Magritte |
Antonello da Messina |
« Une fenêtre. Des livres. Un chien. Un
oiseau. Un homme. Il est seul. Il a l’air triste. Tout est sombre. Destruction…
» Roland, 3°3, Collège Théodore Monod
Rubens |
« Cet homme âgé, tenant dans ses bras un
enfant en bas âge, marchait lentement en direction du temple surplombant la
colline de la ville. Il avait des cheveux longs et sa démarche indiquait que sa
jambe droite lui faisait mal. Intrigué par cet homme étrange, j’entrepris de le
suivre. Une fois au temple, je vis que le vieillard commençait à planter ses
dents dans la poitrine de l’enfant qui était son fils. Horrifiée j’ai dû me
retenir de pousser un cri. Le regard de l’enfant me hante encore… » Célia, 3°1,
Collège Pierre Brossolette
Degas |
« Elle a prit le temps et le soin de
s’apprêter à la vue des autres. Pensive, elle imagine, elle s’imagine… » Naomie, 3°D, Collège
Victor Hugo
De Chirico |
« Je vois se préparer un événement
historique devant ce vieux temple. Deux hommes se promènent dans cette cour
avant une guerre terrible. On ressent la peur dans leurs visages. Cet endroit
est paisible. Mais au fond la voile d’un bateau annonce une fureur sous un ciel
orageux. » Yanis, 3°A, Collège Henri IV
Bosch |
« Au milieu de ce paysage vide, des hommes
et des femmes cherchent à avoir un peu de nourriture… Ils ont l’air si affamés qu’ils
pourraient bientôt commencer à faire une guerre. » Daniella, 3°1, Collège
Pierre Brossolette
Vermeer |
« Elle a l’air triste et solitaire... Mais
elle trouve la liberté dans cette lettre. » Warda, 3°3, Collège Théodore Monod
PREMIER CONTACT
Par David Corre
On parle souvent du premier
contact des corps. On a beaucoup écrit à son sujet. On l’a filmé à l’envi. On
le cherche, tous, ou on l’a beaucoup évité. Dans ce premier contact, il faut
choisir : corps-à-corps amoureux ou corps-à-corps guerrier ? Premier
choc ou premier enlacement –finalement, c’est égal ! La peau de l’un
rencontre toujours la peau de l’autre, les formes de l’un épousent les formes
de l’autre. Ce sont toujours deux corps qui se touchent, se découvrent.
Dans la première étreinte :
la hanche frôle la hanche, la main se loge dans le creux des reins, une
poitrine effleure un torse. C’est attirer
et étreindre – trouver un nouvel équilibre, à deux.
Dans l’assaut : l’épaule
entre dans le ventre, la main saisit le poignet, ou la cuisse, ou le creux du
genou. Il faut pousser et tirer –
chercher à rompre l’équilibre. Dans un cas, on s’approche puis on s’abandonne
plus ou moins. Dans l’autre, on se heurte, on essaie de l’emporter sur l’autre.
***
Ce mardi, ce fut, pour nous aussi, le premier contact. Quel serait-il ? Nous attendions de constater par où les corps se toucheraient en premier. Et dans quel sens se ferait le mouvement.
La surprise fut complète pour les enseignants présents – les trois adultes qui se tenaient aux côtés des élèves pour ce premier atelier. Évidemment, les corps ne se touchèrent pas là où nous pouvions l’attendre. Bien entendu…
***
D’abord, il ne fallait pas
écrire – tout est resté oral. Sergio s’est présenté, a posé les limites, a
défini les sujets d’intérêt : écriture, natures mortes, paysages ou
portraits. Trois pôles d’intérêt, trois échelles, trois manières de regarder.
La parole a commencé à se libérer, tout doucement.
Ensuite on a pu jouer, avec des
images et des textes, d’abord, puis des ciseaux et de la colle. C’est alors que
le piège s’est refermé sur nous et que les mots ont pu entrer en scène :
Sergio a demandé qu’on invoque des mots. Flottement dans l’assistance. Faut écrire quoi ? Coup d’œil à
gauche. À droite. Qu’est-ce qu’il faut
mettre ? En arrière-plan, on pouvait percevoir la peur de la note, la
peur du jugement, la mauvaise habitude de penser qu’il y a une bonne réponse – une et une seule !
Deuxième surprise, les feuilles
tournèrent : les mots péniblement décrochés de soi et couchés sur sa
feuille ne serviraient qu’aux autres ! Regards lourds vers le voisin de
droite, chuchotements réprobateurs : c’est
tout ce que t’as trouvé comme mots ? Mais qu’est-ce que tu veux que je
fasse avec ça ? Regrets des beaux mots qu’on avait choisis, et qui
serviraient au voisin de gauche : dis
pas merci, surtout ! T’as vu ce que je t’ai donné ?
Alors nous sommes entrés dans
l’écriture proprement dite, avec les mots qu’on nous avait donnés, puis la
lecture devant tous. Ultime dévoilement de soi – premier d’une longue série !
Des surprises. De bonnes surprises : chacun avec sa sensibilité, chacun
avec sa personnalité.
Les mots sont sortis, pour leur première séance. Ils ont pointé le bout de leur nez, timidement, prudemment, pour le premier contact.
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