samedi 23 février 2013

SEANCE : FENETRES SUR LE MONDE…


 
 
Après avoir vu et commenté quelques peintures de Hopper qui semblent éblouir les élèves, on se lance dans l’écriture à partir de l’idée de la fenêtre. Comme Hopper, on invente des fenêtres, on les imagine, on les crée... Que voit-on ? Que se passe-t-il derrière ? Les élèves écrivent des textes sidérants. C’est à mon tour d’être ébloui par leurs fenêtres et par leur manière de pencher leurs regard sur le monde…


FENETRES I

 
Dans cette fenêtre je me vois moi en train de me voir. Par cette fenêtre je m’évade en pensant aux choses qui se sont passées dans ma vie, qui se passent maintenant et qui se passeront un jour. Cette fenêtre c’est une fenêtre quelconque ¬– double vitrage – et je peux faire ce que je veux devant. Et quand il fait nuit tout se transforme : un chat devient un rat, un homme devient un voleur, les arbres deviennent des gens… A Noël je la décore. A Halloween je l’habille en orange et en été je la laisse respirer.
Yasmine, 3°A, Collège Henri IV
 
Devant la fenêtre de la mort je vois à ma droite la lumière de l’espoir et à ma gauche l’obscurité du désespoir. Et juste en face de moi je vois la balance qui indiquera mon sort. A ma droite je vois des anges et à ma gauche je vois des démons. Autour de moi il y a d’autres gens : certains ont l’air heureux d’autres ont l’air de regretter la destination choisie par le verdict de la balance et qui les attend de l’autre coté de la fenêtre. Après ma mort je croyais que je ne verrai rien mais si… Il y a une vue après la mort…
Morad, 3°D, Collège Victor Hugo
 
Parfois je regarde la fenêtre devant laquelle je me trouve et alors je vois tout simplement le temps qui passe comme l’oiseau qui vole au loin… Très souvent cette fenêtre me permet de me distraire. Très souvent elle m’aide à m’évader et à partir ailleurs. Mais il y a d’autres fois où elle ne m’aide pas du tout…
Bermi, 3°1, Collège Pierre Brossolette
 
A travers la fenêtre de mon ordinateur je vois des images, des jeux, des réseaux sociaux, je vois Skype, je vois facebook et des gens qui parlent, qui parlent, qui parlent et qui parlent encore… Et ils continuent de parler, de parler, de parler… Encore, encore et encore… Depuis cette fenêtre je vois le malheur du monde…
Fabien, 3°3, Collège Théodore Monod
 
 
FENETRES II
 
 
Par la fenêtre du RER tu vois des gares remplies de personnes de toutes les couleurs.
Par la fenêtre du RER tu vois des gens courir pour rattraper le bus.
Par la fenêtre du RER tu vois des contrôleurs qui contrôlent des gens sur les quais.
Par la fenêtre du RER tu vois des tziganes sans maison sans nourriture mais avec le sourire
Par la fenêtre du RER tu vois des arbres.
Par la fenêtre du RER tu vois des gens tristes, d’autres heureux et d’autres énervés.
Par la fenêtre du RER tu vois des gens se disputer pour pouvoir entrer dans le wagon.
Par la fenêtre du RER tu vois la nature abîmée par la pollution.
Par la fenêtre du RER tu vois un bâtiment pourri à coté d’un bâtiment tout neuf.
Par la fenêtre du RER tu vois une personne seule.
Par la fenêtre du RER tu te vois.
Par la fenêtre du RER tu te reconnais.
Par la fenêtre du RER tu vois ton propre reflet.
Par la fenêtre du RER tu te vois toujours seule en train de rêver à monde meilleur…
Dieumba, 3°D, Collège Victor Hugo

Dans le reflet de la fenêtre de ma classe je vois ma vie passer… Je vois les cours vides, inanimés, sans émotion. Je vois plein de conflits entre nous comme si nous étions pleins de couleurs qui ne voulaient pas se mélanger. Je vois le vent dehors mais à travers le reflet on dirait qu’il est en train de balayer les élèves. Toujours dans ce reflet je vois ma vie se détruire au fil du temps. Mais je vois aussi la vie des autres élèves qui est finalement similaire à la mienne… Je vois la vie des gens – nous tous – en train de nous détruire les uns les autres… 
Jaoued, 3°1, Collège Pierre Brossolette
 
Depuis la fenêtre de la tour Sud du World Trade Center ce mardi 11 septembre 2011 tout semblait calme. Je voyais le ciel immense. La ville au loin en bas, toute emplie de vie et de couleurs. Dans les rues des taxis. Devant moi un ciel bleu, à peine quelques nuages. A ma gauche je pouvais aussi voir l’autre tour. A ce moment-là elle était encore la jumelle de celle dans laquelle je me trouvais. Mais tout à coup j’ai vu la silhouette d’un avion. C’était étrange, sa trajectoire n’était pas habituelle. Je connais très bien la trajectoire des avions depuis que je travaille dans ce bureau. Depuis nos fenêtres on voit des avions passer toutes les dix minutes, alors... Mais cet avion ne faisait pas comme les autres. De minute en minute il s’approchait vers nous. Tout d’un coup le choc. Les alarmes. Tout le monde qui se met à courir. Tout le monde qui se précipite pour descendre les escaliers. Le noir, l’obscurité. Les cris. La fumée. J’ai pu sortir et sauter dans un taxi. Et c’est de cette autre fenêtre que j’ai vu ma tour s’écrouler. La nuit s’est faite dans le ciel, pas un brin de lumière n’arrivait…
Hamza, 3°A, Collège Henri IV

Depuis la fenêtre de ma chambre je vois la mer. Je vois une famille se balader au bord de l’eau. Je vois l’horizon sous un ciel orangé pendant que le soleil se couche. La mer commence à monter maintenant. Au loin je vois les falaises et les vagues qui commencent à claquer contre elles. Peu à peu elles vont commencer à s’effondrer…
Alexandre F., 3°3, Collège Théodore Monod

 
FENETRES III
 

Depuis la fenêtre de ta chambre tu vois un tas de bâtiments tristes. Juste en bas tu vois un parking et plein de voitures garées. Tu regardes des êtres humains marcher dans la rue. Tu vois le 609 passer toutes les quinze minutes. Tu vois des jeunes qui partent au collège. Tu en vois d’autres qui restent sur le parking. Tu vois des mineurs en train de dealer. Ils sont là juste en bas de chez toi. Tu les observes et tu sais qu’ils n’auront pas d’avenir. Tu continues de les regarder en te disant qu’ils se font de l’argent sale et cela t’écœure. Tu es triste et tout d’un coup tu vois par cette même fenêtre ton enfance. Tu revois quand tu étais petite et que tu allais à l’école primaire avec ton grand père. Et tu vois aussi quand tu revenais vers midi avec le sourire aux lèvres. Soudain tu vois un camion de police qui s’arrête brutalement au pied de ta fenêtre. Tu vois les policiers aligner les jeunes. Tu vois la police commencer la fouille. Tu les vois remonter un jeune qui est très insolent. Tu le vois se faire embarquer. Tu continue à penser qu’il n’y aura d’avenir pour aucun d’eux… Plus loin tu vois des pauvres. Et  encore plus loin des SDF au milieu de ce froid. Et tout cela te donne envie de pleurer.
Maryam, 3°D, Collège Victor Hugo

Depuis ma fenêtre je vois des jeunes perdus dans leur vie. Je vois mon père qui va travailler pour nous nourrir. Je vois le Mac Do. Je vois l’hôpital. Je vois des gens qui fument. Je vois des prostituées. J’entends ma voisine qui hurle. Je vois toutes sortes de gens si colorés. Je vois des gens qui se battent. Je vois des gens qui meurent. Je vois des gens qui pleurent. Je vois une ville de délinquants.
Oumaima, 3°1, Collège Pierre Brossolette
 
Depuis la fenêtre de mon cours de Français je ne vois pas la vie sur terre. Je ne vois que le ciel qui au fur et à mesure change de couleur. Quelquefois je vois des avions. D’autres fois des oiseaux. Mais c’est dans les livres que je devrais regarder. Les vraies fenêtres de notre cours de Français ce sont les livres…
Sonia, 3°A, Collège Henri IV

A travers la fenêtre de ma télé je vois un personnage qui tire sur un snipeur // Je vois deux filles en train de se disputer // Je vois des personnes à table // Je vois une éclipse // Je vois des personnes rire dans un bar // Je vois une personne se faire tuer // Je vois un robot qui fabrique de la bière // Je vois un homme qui remplace une vitre // Une femme qui partage un kinder bueno avec un homme // Un hamburger qui tourne // Quelqu’un d’autre qui se fait encore tuer // Un enfant qui rit // Un shampoing // Une guerre qui fait rage en Irak // Un homme déguisé en chauve-souris // Encore des morts // Un homme qui tombe et des rires en bruits de fond // Finalement je ferme les yeux et je me suis endormi…
Medhy, 3°3, Collège Théodore Monod
 
 
FENETRES IV 


 

– Sergio, je vois rien.
– Si. Si. On voit toujours quelque chose…
– Moi je ne vois que le sol mouillé, les arbres sans feuilles, un mur de brique…
– C’est déjà pas mal.
– Mais tout est triste. Dehors c’est un peu le néant.
– Ecris-le… Et là-bas ? C’est quoi ?
– Là-bas ? C’est l’escalier qui mène aux cours de Musique et d’Arts Plastiques.
– Et ben, tu vois, finalement ce n’est pas un paysage si triste que ça…
– C’est vrai.
– Vas-y ! Ecris-le… Tu peux commencer par parler du néant et puis tu parles de l’escalier et de l’endroit vers lequel il conduit…
Dialogue avec Florane, 3°D, Collège Victor Hugo

Depuis la fenêtre de mon balcon je vois une pharmacie et des grues. Je vois une boulangerie. Un peu plus loin des jeunes trafiquent. Et un peu plus tard les flics débarquent et les embarquent. La musique est à fond. Le soir je discute souvent avec mes voisins. Parfois je suis avec Oumaima au téléphone. Je pleure. Soudain Hassane sonne et je commence à entendre ses insultes. C’est pareil tous les soirs. Après il y a mon frère qui rentre et ma sœur qui ne sert à rien. Et les insultes. Tout le temps les insultes. Ma mère hurle. Ma voisine aussi hurle. Tout le monde crie. Et je continue à entendre des insultes. Toujours des insultes… Soudain j’entends ma mère qui pelure. Elle pleure. Alors je ferme la fenêtre et je vais me coucher à ses cotés pour la consoler… 
Fabiola, 3°1, Collège Pierre Brossolette
 
De la fenêtre de mon salon je vois en bas des dealers qui achètent et vendent de la drogue.  Je vois des clochards à gauche et à droite. Je vois des noirs, des blancs, des jaunes qui jouent dans le parc. Heureux. Je vois des adolescents qui jouent au foot en pensant être des Messi, des Ronaldo, des Zidane… Je vois ces jeunes croire à leurs rêves… Et moi ? Quelques heures plus tard je me retrouve devant une autre fenêtre. Celle du car après la fin du match de rencontre contre Troyes. Et par cette fenêtre je me vois plus tard – un jour – sur le Grand Stade, à mettre des buts et j’entends crier mon nom dans l’immensité de ce lieu…
Badara, 3°A, Collège Henri IV

Mon miroir est aussi une fenêtre… Devant lui je suis envahie d’une grande tristesse. En regardant par cette fenêtre je vois une fille. Elle a l’air très triste. Elle est habillée tout en noir. Ses yeux aussi sont habillés en noir. Elle me regarde droit dans les yeux avec ses yeux tristes. Une larme s’échappe de son œil gauche et roule sur ma joue droite…
Eloïse, 3°3, Collège Théodore Monod

 
FENETRES V
 

Depuis la fenêtre de ma chambre je vois des bâtiments complètement ravagés par le temps. Je vois des personnes rentrer et sortir de chez elles. Je vois des gens aux balcons, certains arrosent des fleurs. D’autres regardent la télé. D’autres encore me regardent moi. Il y a des jeunes qui traînent en bande. Des jeunes que je dirais sans avenir. Je vois des voitures qui polluent la ville. Je vois des travaux au milieu des trottoirs. Je trouve ce paysage triste. Monotone en automne. Glacial en hiver. Pas très beau même au printemps. Et bien trop chaud en été. Ce paysage est trop urbain. Trop triste. Trop gris. J’aimerais pouvoir aller quelque part. J’aimerais pouvoir aller plus loin. Ailleurs…
Kevin, 3°D, Collège Victor Hugo

A travers la fenêtre de mon salon je vois un lycée, je vois défiler toute sorte de personnes, des gens qui sortent et des gens qui entrent. Je vois aussi des prostituées et des gens qui s’arrêtent pour leur parler. Je vois des gens en train de se droguer à coté d’enfants qui jouent au foot et crient. Je vois un arrêt de bus et des gens qui attendent le bus avec agacement. Je vois des gens qui s’amusent et qui sont heureux alors qu’ils n’ont rien en commun. Je les envie. J’envie leur bonheur. Je regarde au ciel et au loin je vois un avion.
Ewan, 3°1, Collège Pierre Brossolette
 
Depuis la fenêtre de ma chambre j’aperçois une petite cabane ni en bois ni en paille ni en pierre mais en carton… A l’intérieur il y a des journaux et des déchets tout autour. Il y a des personnes qui habitent dans ces cartons. Des personnes qui ne devraient pas y être. Parfois je vois le fantôme d’une vieille dame en train de pleurer… Sûrement qu’elle regrette son passé…
Karine, 3°A, Collège Henri IV

Je regarde à travers la fenêtre de la mort et je ne vois rien… Absolument rien…
Nada, 3°3, Collège Théodore Monod

 
FENETRES VI
 

 
Par une des fenêtres de ta cuisine tu vois des petits qui jouent au foot. Tu vois des voitures dans un parking. Tu vois des lampadaires qui s’allument la nuit et s’éteignent le jour. Tu vois une bande qui se partage un grec à cinq. Tu vois des édifices. Plein. Partout. Tu vois des élèves qui vont au collège. Tu vois des mères qui vont au marché. Tu vois ton père qui rentre du travail essoufflé et fatigué.
Jonathan, 3°D, Collège Victor Hugo
 
Je vois un terrain de foot
Je vois un parking
Je vois le Super U
Je vois Chelles
Je vois plein de bâtiments
Je vois Citroën
Je vois Gournay
Je vois Lapeyre
Je vois les Fauvettes
Je vois les camemberts de Noisy
Je vois les pavés 9
Je vois le Chesnay
Je vois que des poubelles
Je vois deux voitures cramées
Enfin je vois au loin le collège
Je vois le pharmacien
Nassim, 3°3, Collège Théodore Monod

Depuis cette fenêtre je vois le ciel noir qui ressemble aux ténèbres. Je vois au loin des étoiles par milliers. Plus loin je vois la lune. Et loin, encore très loin là-bas, des satellites faisant leur ronde autour de la terre. Je sens les bruits du vent doux de l’été. Je vois des météorites. Un peu plus loin encore je vois quelqu’un d’étrange, je ne sais pas bien mais j’ai l’impression que c’est une sorte d’idole. Maintenant je ne vois plus que la poussière. Maintenant je comprends que je suis mort.
A. Gignac, 3°A, Collège Henri IV




 

FENETRE SUR COURS(S)


 

 Par David Corre

 

Je ne vais pas chanter la complainte du professeur qui doute. Je ne suis pas gagné par la rancœur ou l’aigreur. Je ne suis pas désabusé. Pourtant, pendant cette séance – oserai-je l’avouer ? –, une fois n’est pas coutume, mais une pointe de jalousie s’est mêlée à mon habituelle admiration. Mon petit plaisir hebdomadaire s’est teinté d’un peu de réflexion. Que s’est-il passé ?

Eh bien en début de séance, afin de situer notre travail de cette semaine, par seulement quelques petites touches et deux courtes lectures, Sergio a tout simplement fait saisir aux élèves la différence entre observer et contempler. Rien que ça. Et voilà qu’en cinq minutes chrono, il a plié ce qui m’aurait pris une séquence de plusieurs semaines sur la description ! Il y a de quoi rester pantois. C’est ce qui m’est arrivé, après mon premier réflexe : fierté pour mes élèves, fierté de voir Sergio mener tout son petit monde par le bout du nez.

Imaginez-vous : tout l’enjeu de la description – objectivité contre subjectivité – non pas appris, certes, mais touché du doigt, ressenti. Sans en avoir l’air. Et les élèves de se précipiter pour répondre, de bondir sur leur chaise pour avoir la parole… Tout simplement. Il y a de quoi se poser des questions, tout de même. Comme il le rappelle souvent lui-même, Sergio n’est pas enseignant, il est vrai – mais qu’est-ce que ça enlève à son exploit ?

Du coup, Sergio a encore une fois levé le voile devant mes yeux. Sur l’enseignement. Sur ce qu’est la transmission. C’est vrai qu’il y a de quoi s’interroger sur notre manière d’enseigner et de transmettre notre amour de la littérature : donnons-nous assez de plaisir ? Nous y prenons-nous convenablement ?

Je parie que les fenêtres ouvertes par Sergio ne sont pas près de se refermer…
 
***
 
Cette semaine, le programme était simple – en apparence : choisir une fenêtre, trouver, au fond de soi, une fenêtre familière, ou même en inventer une de toutes pièces, se pencher, regarder à travers, et dire ce qu’on voit. Tout simplement. C’est tout ? Oui, presque. Disons que la classe n’a plus trop besoin de beaucoup de consignes pour se mettre à l’écriture : tout le travail effectué depuis des semaines a posé des bases fort solides, tout un lot de bonnes habitudes et de bonnes postures.

Sitôt dit, sitôt fait, donc, les rouages de l’écriture se mettent à nouveau en place : les listes remontent à la surface, les paysages observés, tout le travail, si fécond, sur le hors-cadre. C’est avec plaisir, à l’évidence, qu’ils se mettent au travail.

Alors, comme souvent, ils se mettent à écrire, ils se lancent, ils réfléchissent. Aucun bavardage. Ils furètent en eux, sans un mot, ils parcourent leur mémoire à la recherche d’une fenêtre intéressante à ouvrir par laquelle regarder, respirer à pleins poumons et se souvenir – ou rêver. Il faut le préciser : je sens bien que chacun veut plaire à Sergio, et aux autres, aussi. Le mardi, chacun veut se montrer sous son meilleur jour, se révéler inventif, provoquer l’étincelle dans l’œil de Sergio, faire naître au coin de sa bouche un sourire.

Quelques questions fusent, de loin en loin : « Sergio, on peut faire autre chose que seulement voir ? », « C’est pas grave si ma fenêtre, elle existe pas vraiment ? », « Sergio, est-ce que je peux faire deux fenêtres ? ». Sergio boit du petit lait : nos élèves sont si perméables et attentifs à ce qu’il leur transmet que, d’eux-mêmes, ils fusionnent tous les exercices pratiqués au préalable. – Et leur professeur de se dire, encore une fois, qu’ils réussiraient tellement mieux à l’école si seulement ils y étaient toujours aussi attentifs et appliqués !

Et à la lecture, je prends, comme toujours, une gifle : chaque texte qu’ils proposent met en place un dispositif impressionnant, tellement personnel, tellement inventif. Fenêtres doubles – en regard l’une de l’autre, en échos lointains, entre exil et recherche d’identité. Fenêtre imaginaire, en mouvement, qui nous propose le voyage d’une âme vers le paradis en un prodigieux traveling cinématographique. Fenêtre du World Trade Center, le 11 septembre 2001, qui se transmue, insensiblement, en la lunette arrière d’un taxi fuyant un monstrueux nuage de poussière qui avale tout sur son passage. Fenêtre miroir, personnifiée jusqu’à la respiration, qui n’ouvre sur aucun paysage extérieur mais qui renvoie le reflet de l’intérieur d’une chambre, et dans laquelle une élève se mire au fil des mois.

L’écriture, en somme.
 
***
 
Sergio a raison : la séance sur les fenêtres est une des plus belles. Ces fenêtres font le lien entre l’extérieur et l’intérieur. Dis-moi par quelle fenêtre tu regardes, et je te dirai qui tu es.

Les élèves ont trouvé le moyen de nous dire tellement et tellement, en posant leurs yeux sur ces fenêtres choisies, ces fenêtres intimes. Ils nous ont prêté leurs yeux, nous ont dévoilé des points de vue privilégiés – une part de cette âme qu’ils gardent souvent si jalousement cachée, à nous, les adultes.

C’est vrai qu’on dit souvent que les yeux sont les fenêtres de l’âme – fenêtre pour fenêtre, ma foi…

 

samedi 9 février 2013

FRAGMENTS D’UN DISCOURS AMOUREUX

  
Au collège Théodore Monod, la Direction a décidé, avec l’ensemble des équipes pédagogiques, de consacrer toute la journée du 14 février, fête de la Saint Valentin, à des activités sur le thème de « l’amour ». Du prof de SVT aux profs d’Arts Plastiques, en passant par le Chef cuisinier du collège, les CPE, la COP et le prof de Latin ou d’Histoire Géo, chacun depuis un mois s’est attelé à la préparation de cette journée. L’atelier d’écriture de 3°3 et Mme Rollot ont été invités à y apporter leur contribution… Nous avons donc fait une halte dans notre travail sur le Paysage, et nous nous sommes plongés pendant deux séances dans les affres de l’amour. J’ai proposé de faire un travail d’écriture sur la rupture amoureuse. La séparation, l’abandon, le départ, ça fait partie de l’amour, non ? Donc, après avoir lu et commenté ensemble quelques textes qui abordent ce moment douloureux de la séparation, avec Mme Rollot nous avons proposé aux élèves d'imaginer une rupture et d’écrire un texte qui parle de l’absence de l’autre. La consigne d'écriture – inspirée d’un exercice de style que Raymond Queneau appelle Logo-rallye – est simple : produire un texte en y intégrant progressivement des mots lancés à voix haute. Voici la liste, plutôt hétéroclite, des mots : hiver – toi – larmes – jamais – nuit – rouge – désormais – fossoyeur – portable – tristesse – mon – ciel – secret – normalement – clocher – adieu – solitude – aéroport – pourtant – faiblesse – sommeil – départ – cœur – prison – blessure – rage. Le résultat, c’est ces dix lettres de rupture, écrites à quatre mains, et qui seront lues par des élèves ou le personnel du collège, et diffusées à certains moments de cette journée au travers des haut-parleurs du collège. J’ai décidé d’intituler ce travail « Fragments d’un discours amoureux » – en hommage au livre de Roland Barthes qui commence ainsi : « C’est donc un amoureux qui parle et qui dit : »
 
 
Lettre N°1
 
Je tenais à te dire que je pense à toi
À la façon dont tu m’as brisé le cœur en me quittant
La nuit je pleure en espérant qu’un jour tu me reviendras
Je ne veux plus de cette vie si tu n’es pas là car je suis fou de toi
De toi
Oui
Toi
Toujours toi
En partant tu es partie avec mon cœur
Tu l’as pris et tu es partie avec
Et pourtant quand je pense à notre histoire
Je ne peux pas m’empêcher de penser au bonheur de nos jours et de nos nuits
À ce moment-là il me semblait que rien ne pourrait nous séparer
Jamais mon cœur ne te pardonnera
Sans toi je vis dans la solitude la plus extrême
Sans toi mes larmes coulent tout au long de nuits qui ne finissent jamais
Les saisons passeront mais je serai toujours là
À t’attendre
 
Gwendal, Alexandre T., Elodie, Alexis
 
 
Lettre N°2
 
Je t’écris car mon cœur est sombre comme la nuit
Je sens l’absence de ton souffle qui me donnait la vie à chaque instant
Ton âme était pure comme un ciel d’automne
Comme un ciel limpide
Comment vivre loin de toi ?
Sans toi ?
Tu étais mon soleil
Et sans toi je ne peux plus vivre
Ma vie est devenue comme une nuit interminable
Tout est devenu noir pour moi
Je me demande tout le temps si nos chemins se recroiseront un jour ?
Tu me manques
Je suis en manque
Je suis en manque de toi
Reviens
S’il te plaît
Reviens
 
Alban, Fabien, Nada, Alexis
 
 
Lettre N°3
 
Depuis ce jour où tu es parti mon cœur est froid comme l’hiver
Comme l’hiver gris et glacial
J’ai l’impression de traverser une longue nuit
Depuis que tu n’es plus là mon cœur est monté dans le métro de la douleur
Et je ne vois toujours pas de terminus
Y-a-t-il une issue à cette douleur qui paraît ne finir jamais ?
Dis-moi : y-a-t-il une issue ?
Quand je suis seul dans mon lit cette blessure qui s’appelle solitude m’envahit
Et me déborde
Et me noie
Je suis hanté par les souvenirs du passé
De notre histoire
On rêvait de partir vers des horizons lointains et nous voilà
Nous voilà enfermés dans la triste fin de notre amour mort à tout jamais
Quand je pense au moment même de ton départ
Une larme coule comme s’il pleuvait sur la vitre de ma pensée
 
Eloïse, Reyhan, Gwendal, Mehdy
 
 
Lettre N°4
 
Si je prends ma plume pour t’écrire aujourd’hui
C’est pour te dire à quel point je suis triste et désespéré
Ma souffrance empire
Et mon chagrin me noie chaque jour davantage
 Je ne peux pas m’habituer à ton absence
Le pourrai-je un jour ?
Ce n’est pas ton départ qui me tue
C’est ton absence
Cet espace vide
Cet abîme où je sombre à chaque instant
Tu as livré mon cœur au fossoyeur
Et la blessure que tu as laissée ne se refermera jamais
Elle ne fait que s’ouvrir
Je ne veux plus guérir
La nuit arrive pour toujours
Saches que jamais personne ne t’aimera comme moi je t’ai aimé
 
Nada, Doussou, Elif, Alban
 
 
Lettre N°5
 
Pourquoi est-ce si compliqué l’amour ?
Quand tu m’as dit que tu partais mon cœur s’est brisé
Il est devenu comme un ciel de nuit étoilé
Éclaté en mille morceaux
Comment garder l’espoir au milieu de cette souffrance ?
Comment vouloir vivre désormais en sachant que tu es parti ?
Qui pourra sécher mes larmes ?
La seule chose qui me reste c’est enterrer mon cœur petit à petit
Car sans toi comment continuer ?
Tout est perdu à jamais
À jamais
Je me sens seule et perdue au milieu de cette forêt sombre et glaciale
Je verse quelques larmes sur cette lettre sans trouver de réponse à ma question
Pourquoi est-ce si compliqué l’amour ?
 
Christian, Samia, Eloïse, Alexandre F.
 
 
Lettre N°6
 
Tu es partie mais pas toute seule
Tu as pris mon cœur avec toi
Et tu as aussi pris la flamme qui faisait briller mon regard
Je suis devenu quelqu’un de malheureux
Regarde-moi
Ma tristesse est telle que je n’arrive pas à dire ce qui m’arrive
Les mots me manquent pour expliquer ma détresse
Toutes ces phrases résonnent dans ma tête
Comment regarder maintenant ce paysage ?
Comment entendre cette musique ?
Comment sentir ce parfum ?
Tout me rappelle à toi au milieu de cette forêt de tristesse
Je ne vais rien faire
Je vais rester là à m’habituer à ton absence
Seul dans mon coin
À attendre que mon cœur s’éteigne pour toujours
 
Steven, Nassim, Roland, Doussou, Fabien
 
 
Lettre N°7
 
Je t’écris pour te dire que ma vie sans toi n’a plus de sens
Je sombre de plus en plus dans la mélancolie
Elle m’envahit
Elle m’envahit chaque jour davantage
Elle s’est installée pour toujours en moi
Ne me quitte pas
Reviens
Reviens dans ma vie
S’il te plaît
La solitude me pèse
Mes larmes pourraient faire déborder des océans de pays qui n’existent pas
Car cette blessure que tu as ouverte en moi ne se refermera jamais
La mer devant laquelle on s’est rencontrés…
Je pense à elle
Te souviens-tu ?
Il ne me reste que ton silence
Et rien d’autre
Mais s’il te plaît
Reviens
Mehdy, Benoit, Nada, Reyhan
 

 
Lettre N°8

Pourquoi me quittes-tu en cet hiver glacial ?
Pourquoi ?
J’ai besoin de toi
De tes bras
De tes lèvres
Ton départ tue mon âme et brise mon cœur en mille morceaux
Ma blessure ne peut pas cicatriser
Mon cœur n’est plus rouge
A présent il est devenu noir
Tu m’as amené à cet endroit qui s’appelle solitude
Où il n’a y pas de soleil
Pas d’étoiles
Où il n’y a pas de ciel
A présent tout est devenu vide
Devant moi je ne vois que le néant
Pourquoi me quittes-tu en cet hiver glacial ?

 
Benoit, Alexandre F., Alexandre T., Sandra
 
 
 
Lettre N°9
 Je t’écris car je voudrais que tu ressentes ma douleur
Cette douleur qui me poignarde
Qui me perce
Qui me traverse
Qui me tue
Tout est devenu sombre pour moi
Maintenant tout est nuit
Je ne te retrouve plus à mes côtés
Près de moi
Où es tu ? Où es tu ? Où es tu ?
Loin des yeux encore plus près du cœur
La solitude devient ma seule compagne
Ma seule certitude
Tu m’as enfermée dans cet abandon
Et j’y meurs de savoir que je ne pourrai plus jamais t’atteindre
Un brouillard épais a recouvert le ciel de mon âme
 
Warda, Elif, Sara, Steven
 


Lettre N°10

 Tu es parti et il ne me reste que le désespoir
Tu es parti pour toujours
Ton départ a été un coup de hache pour moi
Et depuis ce jour je vis la fin d’un rêve
La fin d’un rêve et le début d’un cauchemar
Notre amour fut si court et cette solitude si longue
Pourrais-je t’oublier un jour ?
Tout est devenu noir pour moi
Je suis devenu aveugle de toi
Et je te cherche sans savoir où je suis
Perdue au milieu de nulle part
Rien n’a plus de sens pour moi
A quoi sert de vivre sans amour ?
Sans toi ?
Sans tes bras autour de moi ?

Sandra, Sarah, Samia, Roland