dimanche 31 mars 2013

SEANCE : VISITE AU CENTRE GEORGES POMPIDOU




C’est au Musée du Centre Georges Pompidou que j’ai choisi d’aborder le thème du corps avec les élèves. De prime abord, chacun s’extasie devant cette architecture étrange et déconcertante. Les élèves sont éblouis par cette sorte de capsule spatiale atterrie au beau milieu de Paris… Nous ne sommes plus dans le riche Palais du Louvre, ni dans les somptueux salons du Musé d’Orsay. Par ces portes de verre, nous entrons de plein fouet dans l’espace troublant et bouleversant des XXe et XXIe siècles…
 

 
 
Aborder le Centre Pompidou n’est pas simple. En premier lieu, la thématique que va traiter notre conférencier nous concerne directement : le corps… Mais les corps que nous allons voir sont des corps traversés par un siècle violent, souvent monstrueux : le siècle de l’industrialisation de la mort, celui de l’apparition de l’inconscient, des guerres nucléaires, le siècle des pandémies à l’échelle planétaire ; un siècle qui s’est ouvert avec l’espoir de rendre l’humanité heureuse et qui nous a laissé en héritage Hiroshima et Auschwitz…
 
 
 
 
En outre, pour un regard vierge et neuf, l’art des XXe et XXIe siècles peut être un peu déroutant… Dans le regard de ces jeunes contemplant des œuvres de l’art contemporain, je vois de la perplexité, un certain flottement. Dès le début de la visite, il me faut désamorcer l’éternelle question « Cette tache est-elle de l’art ? »… Ce jour-là, ma réponse aura été : « Oui, Nassim, une tache peut être de l’art car au XXe siècle, l’homme est devenu lui-même une tache dans l’histoire ».
 
 
 
A l’issue de la visite, en tentant de la comparer aux visites du Louvre ou du Musée d’Orsay, les élèves me disent : « Sergio, dans ce musée, quelque chose a changé ». Cette remarque ne témoigne-elle pas que l’objectif que je m’étais fixé est en partie atteint ? En effet dans l’homme du XXe siècle quelque chose a changé pour toujours. Et non seulement dans l’homme mais aussi dans la manière donc désormais il tente de se représente à lui-même…
 


 
BEAUBOURG


Par David Corre

 
Semaine suivante : voyage à Beaubourg. C'est notre troisième sortie au musée, et pourtant, c'est la plus surprenante. Les élèves se sont montrés beaucoup plus agités. Eux, si respectueux, si silencieux dans le vieux palais du Louvre, si sages, bouche bée à Orsay, nous les avons découverts puérils, parfois fermés dans les couloirs du Musée Pompidou. C’est vrai qu’il y a un côté couloir d’usine ou d’aéroport dans ce drôle de musée. Certaines œuvres en sont à peine : « C’est une œuvre, ça ? », demande l’un devant Soulages. « Il a pas fini son grillage ! », remarque un autre, devant une sculpture trônant au beau milieu d’un couloir. Il s’en étend, des corps nus et désarticulés. On en a collé, du carrelage, de la moquette… Les yeux se perdent devant des toiles dont on ne peut jurer qu’elles sont accrochées dans le bon sens...
 
Finalement, ne les grondons pas, les élèves ont bien compris : ils ont réagi. Sûrement les œuvres rencontrées, si elles pouvaient parler, ne nous réclameraient pas le même silence religieux, le même respect admiratif que leurs sœurs du Louvre ou d’Orsay. Le conférencier, plus philosophe que guide, ne les a pas épargnés, d’ailleurs, avec ses considérations sur l’art contemporain, sur la réception de l’œuvre, avec ses interrogations sur ce qu’est l’art. Il les a emmenés loin, avec ses chuchotements, et ils ont apprécié sa ferveur retenue. Certains ont même décidé d’inclure une œuvre découverte là dans leur liste d’Histoire des Arts !
 
Finalement, je me dis que la mélancolie ne sert à rien : à la croisée des chemins, tout est possible – sauf les regrets.
 
 

samedi 30 mars 2013

SEANCE : LE PORTRAIT



Hans Memling

Troisième étape de notre voyage : nous abordons la notion de Portrait. Pour commencer, nous découvrons les Portraits les plus connus de l’histoire de l’art. Comme nous l’avions fait pour les Natures Mortes et pour le Paysage, de la peinture à la photographie en passant par des installations et des films de vidéo-artistes, nous consacrons un bon moment à essayer de comprendre ce qu’est un Portrait.
 
Nous ne sommes plus dans le domaine des choses ni des lieux, mais dans le domaine de l’humain… Portraits individuels ou collectifs, portraits d’hommes ou de femmes, portraits de métiers ou du pouvoir, portrait de l’autre ou de soi-même, tous font comprendre que ce mélange intime d’aspect physique extérieur et de psychisme intérieur, c’est cela qu’on appelle l’humain
 
L’approche a changé : désormais il va s’agir de tenter de cerner l’autre ; essayer de déchiffrer les traits de son visage, ses gestes, ses postures, ses humeurs, son corps qui dit ou qui se tait… On entre là dans le territoire d’hommes et de femmes qui nous regardent les regarder…
 
Dorénavant, dans l’acte de regarder un portrait, il s’agira toujours d’identifier ces trois présences : celui qui est peint, celui qui a peint et celui qui regarde… Trois corps dans un même acte artistique : le corps du modèle, le corps de l’artiste et notre propre corps d’observateur contemplatif…
 
Voici quelques exemples des plus beaux Portraits que nous avons contemplés. Chacun pu faire progressivement cette découverte étonnante : en fin de compte, approcher l’autre c’est une manière de se connaître soi-même…


Andy Warhol
 
Piero della Francesca
 
 
Ingres

 

Van Der Weyden

 

Domenico Ghirlandaio


Gustav Klimt
 
 
 
Fracis Bacon
 
 
Jacques-Louis David
 

Durer

 
Léonard de Vinci
 
 
Arcimboldo

Diego Velazquez

 
Otto Dix

 

SILLAGE

 
Par David Corre

 

En cette séance de rentrée, qui a marqué le début de la troisième partie de notre parcours, mon billet aurait pu être un peu mélancolique. J’ai lutté contre mon élan. C'est vrai que nous n’avons pas écrit, cette fois-ci, et ne pas les voir, dos courbé, tête baissée, m’a manqué. C’est vrai. Mais quoi d’autre ?
 
En fait, cette séance avait déjà, pour moi, une petite odeur de fin : nous venons d’attaquer le dernier tiers de notre périple, et j’ai toujours été du nombre de ceux qui s’inquiètent de la fin d’une expérience avant son achèvement. D’où ma mélancolie. Notre périple touche vaguement à sa fin, en effet, mais il est bon de constater le chemin parcouru, et de réaliser que les rivages que nous atteindrons bientôt sont aussi luxuriants et verts que nous pouvions l’espérer. Sergio, en bon capitaine, a donné un cap à notre équipage, a su jouer des vents et des marées, et de mon poste privilégié, je devine les côtes qui se dessinent.
 
Pourtant, j’essaie de ne pas m’attrister : notre voyage touche à sa fin, certes, mais pas le leur. Que feront-ils des expériences acquises lors de cette traversée ? C’est à eux d’en décider, bien sûr. Mais une chose est sûre : ils nous quitteront avec un petit bout de nous, une petite trace de nous en eux. Et réciproquement.
 
***
 
Fidèle à son habitude, pour nous faire entrer dans les spécificités du portrait, plutôt que de longs discours, Sergio a sélectionné une cinquantaine d’œuvres qu'il nous a projetées. Les élèves ont ainsi abordé un genre riche, qu’ils croyaient familier, et en ont senti la variété, la richesse. Le portrait, en effet, est un art exigeant : montrer l’extérieur pour dire l’intérieur, rendre la ressemblance de l’enveloppe tout en livrant le cœur. Entreprise de dévoilement et de défloration contenue dans une imitation. Belle gageure !
 
Une nouvelle fois, les élèves nous ont bluffés : toutes les œuvres rencontrées précédemment ont laissé en eux un sillage, un sentier par où court désormais leur sensibilité. Leurs regards se sont acérés. En un mot, comme le dit Sergio, leur regard est devenu « sensible ». Ils cherchent, désormais, le signe caché, le symbole couvert, le sens sous-jacent. Ils sont devenus chercheurs d’or. Orpailleurs, sans même le savoir.
 
Et parmi tous les portraits de cette séance, les autoportraits de Frida Kahlo m’ont tout particulièrement touché, pour plusieurs raisons différentes : pour eux-mêmes, d’abord, évidemment, et pour l’effet qu’ils ont toujours en moi. La réaction des élèves, d’ailleurs, est plus épidermique que pour toute autre œuvre : réactions plus vives, plus contrastées, aussi. Et quel silence, quand Sergio résume sa biographie ! Le drame de sa vie, ses souffrances, leur clouent littéralement le bec : ils respectent le chemin de croix qui a conduit cette femme vers la création, et lui a fait payer cher chaque don qu’elle lui a octroyé. Sa vie scandaleuse les éblouit, ses frasques les font sourire : ils découvrent ce qu’est une artiste, dans le sens moderne du terme. Et la force de ses tableaux, empreints de naïveté et d’une forme de maladresse, les émeut : Frida a cette force, naïve, de nous atteindre toujours au cœur, nous surprenant parfois, nous intriguant souvent, nous séduisant toujours. Nous savons que le sens nous échappe dans tout ce que nous y percevons d’emblée, comme dans des œuvres d’enfants.
 
Et puis, ayant étudié une œuvre de Frida en classe, nous les voyons heureux du savoir qu’ils ont acquis et de répéter : « On l’a étudié avec M. Corre ! ». Moment rare, et doux, pour le professeur qui constate qu’il transmet parfois des choses qui restent enfouies, qui grandiront sous d’autres cieux, après avoir beaucoup végété, sans doute, mais qui germeront à la moindre sollicitation. 

 
Frida Kahlo