samedi 13 avril 2013

SEANCE : LE PORTRAIT




Après l’autoportrait, on passe au portait : l’art de décrire l’autre. D'abord nous commençons par voir des photos d'Atget et de photographes de rue d'aujourd'hui... Ensuite nous passons à l'écriture... En essayant de cerner la ville à travers les êtres qui l’habitent, on part à la recherche des gens qu’on peut croiser. La consigne est la suivante : essayer de faire par écrit une suite de portraits-croquis, et saisir dans un geste rapide et agile plusieurs silhouettes citadines en action. Pour s’inspirer, on regarde d’abord les croquis extraordinaires de Leonard De Vinci ; puis c’est à nous de nous lancer dans l’art de décrire sans détails, en une ligne brève et précise, une silhouette. Chaque élève a portraituré une trentaine d’esquisses. Voici un collage de quelques résultats…
 


Quelqu’un qui porte un sac
Quelqu’un qui s’accroche à la vie pendant qu’il meurt
Un rêveur qui vole
Quelqu’un qui joue de la guitare
Quelqu’un qui joue au foot
Quelqu’un qui envoie un texte
Quelqu’un qui se bat pour quelque chose
Quelqu’un qui pleure
Mon grand-père qui pleure
Quelqu’un qui fait du Kung Fu
Un business man qui travaille
Quelqu’un qui regarde les horaires du bus pendant qu’on cri autour de lui
Quelqu’un qui gare sa voiture
Un vendeur à la sauvette qui survit
Quelqu’un qui crie
Quelqu’un qui se fait rattraper par les flics
Un mendiant qui demande de l’argent
Une fille qui regarde une robe
Quelqu’un qui promène son chien
Quelqu’un qui tombe
Quelqu’un qui se dispute
Quelqu’un qui est à terre
Quelqu’un qui va au travail
Quelqu’un qui traverse une rue
Quelqu’un qui parle tout seul
Quelqu’un qui vient du bled
Quelqu’un qui triche au contrôle
Quelqu’un qui se lève tôt
Quelqu’un qui roule sans permis
Quelqu’un qui porte un pack de lait
Quelqu’un qui apprend une mauvaise nouvelle
Un sportif qui tombe et se relève tout de suite
Quelqu’un qui écrit mange un grec
Quelqu’un qui va à la bibliothèque
Quelqu’un qui fouille dans les poubelles
Quelqu’un qui se fait frapper
Mon père qui fait la prière
Quelqu’un qui fait la guerre
Quelqu’un qui embrasse sa mère
Quelqu’un qui tient à la vie
Quelqu’un qui est malade
Quelqu’un qui a du mal à gagner sa vie
Quelqu’un qui a besoin d’oublier
Quelqu’un qui entre chez le coiffeur
Quelqu’un qui sort de chez le coiffeur
Mon cousin qui fait du trafic sans savoir que sa vie est en jeu
Quelqu’un qui tombe dans le vide
Quelqu’un qui malgré tout reste debout
Quelqu’un qui déprime
Quelqu’un qui nage
Quelqu’un qui s’endort
Quelqu’un qui accouche
Moi qui regarde vers le ciel

Classe de 3°D, Collège Victor Hugo




Quelqu’un qui s’ennuie
Quelqu’un qui déchire quelque chose
Un SDF recouvert de sacs plastique alors que la pluie tombe
Quelqu’un qui prie
Quelqu’un qui fait le plein d’essence
Un père qui console son enfant
Quelqu’un qui ferme une porte
Quelqu’un qui achète des médicaments
Lilly qui saute dans une flaque
Quelqu’un qui se promène un bouquet à la main
Un chômeur qui va à un rendez-vous
Quelqu’un qui nettoie les trottoirs
Quelqu’un qui vit sa vie
Quelqu’un qui pleure
Quelqu’un qui avance dans la vie
Quelqu’un qui court pour ne pas rater son train
Quelqu’un qui bouscule quelqu’un d’autre
Quelqu’un qui après avoir été bousculé ramasse ses affaires
Quelqu’un qui regarde sa montre
Quelqu’un qui boit trop
Ma vie qui s’effiloche
Quelqu’un qui rit sans savoir que tout peut s’arrêter
La mort qui pleure
Quelqu’un qui s’émerveille
Quelqu’un qui est fatigué
Quelqu’un qui monte au ciel
Quelqu’un qui naît
Puis quelqu’un qui vient de naître
Quelqu’un qui angoisse
Quelqu’un qui hait
Quelqu’un qui dit au revoir sans savoir qu’il ne reviendra jamais
Quelqu’un qui est à l’hôpital
Quelqu’un qui va changer sa vie
Quelqu’un qui a peur
Quelqu’un qui laisse traîner un parfum derrière lui
Quelqu’un qui parle tout seul
Quelqu’un qui me dévisage
Quelqu’un qui boîte douloureusement
Une femme en instance de divorce
Quelqu’un qui sait pas où il va
Quelqu’un qui se demande où ?
Quelqu’un qui escalade un grillage
Quelqu’un qui a tout perdu
Quelqu’un qui vieillit
Quelqu’un qui s’enfuit
Quelqu’un qu’on enterre
Quelqu’un qui est en train d’accoucher

Classe de 3°A, Collège Henri IV

 



Quelqu’un qui pleure
Quelqu’un qui crie
Un aveugle qui ne voit pas que le monde s’assombrit
Un homme qui s’endort pour toujours
Un prisonnier qui pleure sachant qu’il sortira un jour
Une veuve qui pleure
Ma grand-mère qui prie en pensant à un mode meilleur
Quelqu’un qui filme
Quelqu’un qui se réconcilie avec quelqu’un d’autre
Quelqu’un qui boit son café
Un ouvrier qui peint
Un consommateur qui achète
Quelqu’un qui sourit au soleil
Quelqu’un qui somnole
Quelqu’un qui fait du skate
Quelqu’un qui aboie comme un chien
Un voleur qui s’enfuit
Jean-Luc qui me regarde
Un chat qui dort
Quelqu’un qui tousse, qui tousse, qui tousse
Quelqu’un qui encaisse
Quelqu’un qui se pend
Quelqu’un qui pense que tout peut changer
Quelqu’un qui prie sans savoir qu’au bout il y a l’enfer
Quelqu’un qui est beau
Quelqu’un qui surveille
Quelqu’un qui distribue le courrier
Quelqu’un qui nettoie les vitres
Quelqu’un qui deale
Quelqu’un qui aide quelqu’un d’autre
Quelqu’un qui se bat dans sa vie
Quelqu’un qui est par terre et qui n’arrive pas à se relever
Quelqu’un qui se fait arrêter par le contrôleur
Quelqu’un qui achète, qui n’arrête pas d’acheter
Quelqu’un qui hésite
Quelqu’un qui saigne
Quelqu’un qui soigne

Classe de 3°1, Collège Pierre Brossolette
 



ACCIDENT
 

Par David Corre


Combien sont les êtres humains qui nous entourent ? Sept milliards, au bas mot ? Et parmi cette foule, combien en connaissons-nous vraiment ? Peu. Très peu. Nous sommes noyés au milieu de cette nuée.
Bien sûr, il y a aussi tous ceux que l’on connaît à peine, mais que l’on croise souvent. J’ai déjà écrit sur eux, ceux que j’ai appelés, ailleurs, les « inconnus familiers » : ceux que l’on croise chaque soir sur le retour de la boulangerie rentrant du travail avec leur serviette. Celle qui nous rend notre monnaie au supermarché, à qui on dit une petite phrase gentille, ou rigolote. Celles qui courent derrière leur poussette, sur le chemin de l’école, avant de courir à leur travail. Mais, même en comptant avec eux, nous ne connaissons finalement qu’une infime partie de l’humanité.
Pourtant, il faut bien croire qu’ils sont tout de même un peu comme nous. Nous partageons un fond d’humanité commun. La question de l’altérité traverse les civilisations humaines avec ses questionnements, ses interrogations sans réponses certaines. Et c’est peut-être ce qui nous fascine tant dans tous ces portraits, dans toutes ces photographies. Nous cherchons un peu ce qui nous ressemble, et ce qui nous différencie. Dans les photos volées, saisies au vol dans la rue, nous percevons la surface des choses et des êtres, mais nous cherchons presque inconsciemment ce qui explique le geste ébauché. Qu’est-ce qui peut justifier l’attitude avachie de ce restaurateur turc ? À quoi rêve-t-il ? Et cet homme échevelé, un livre dans la bouche : quelle succession d’événements peut expliquer une pose si grotesque ?
Et l’interrogation s’accroît encore face aux clichés d’Atget. À cent ans de distance, comment pensaient ceux qui sont tellement autres ? Contempler les photos d’Atget puis les contemporaines, c’est observer l'évolution des mœurs, des habitudes, voir combien nos vêtements sont différents, nos rues, même. Grâce à ces traces laissées, nous constatons que les prostituées de la fin du XIXème siècle étaient habillées plus décemment que… Oui : que de nombreuses jeunes filles d’aujourd’hui. On ne me fera pas croire que ces simples faits ne changent pas quelque chose. Alors, on y songe.
Ils nous en apprennent beaucoup, en effet, ces croquis pris sans crayon. Notre esprit se met à rêver devant ces éphémères instants fixés. Comme dans le hors-cadre : pas d’avant, pas d’après. Quel œil il faut pour saisir ces moments !
 

***

 
Lors de cette séance, Sergio a fait pénétrer tout notre petit monde dans les espaces illimités de la création littéraire : après le hors-cadre, il y a quelques semaines, grâce auquel les élèves avaient été invités à déchaîner leur imagination, il s’agissait cette fois-ci de quelque chose d’assez différent. Il s’agissait d’écrire pour de vrai. C’est-à-dire d’écrire, puis de réécrire. Puis de réécrire encore. Par amplification, seulement, mais, pour la première fois, il a fallu se relire pour continuer à écrire.
Cela n’a l’air de rien, mais l’essentiel de ce qui constitue l’écriture était contenu dans le dispositif de cette semaine : c’est à partir de ce qu’on a d’abord écrit que l’on va écrire, et inventer.
Par augmentations successives, à partir de quelques petites touches, d’une silhouette ébauchée, d’un espoir d’idée, nous allions parvenir à développer un portrait. L’entreprise est ambitieuse : en partant d’une forme humaine vague, née dans notre esprit ou croisée un jour, qui agit ou qui ressent, nous devions donner vie à un être humain individualisé. Un personnage, déjà. Partir d’un croquis, à peine une esquisse, et construire un personnage, toute une situation. Ambition nommée Littérature.

 
***
 

Mais, pour en arriver là, les élèves ont dû accepter de se tenir au bord du gouffre, de rester dans l’attente de ce qui allait éclore. Qu’allait devenir ce « quelqu’un » dont on devait d’abord se contenter ? Qu’est-ce qui explique l’action dont il est le sujet ? Pour nos élèves, ce n’est pas si simple. Ils aiment les réponses sûres et indéniables. Ils n’aiment pas que deux choses soient bonnes en même temps. Binarité. Manichéisme. Et après, ils déclarent ne pas aimer les mathématiques !
Pour suivre Sergio, cette semaine, les élèves ont dû consentir à beaucoup de choses, sans s’en rendre tout à fait compte. Accepter de répéter une forme peu tentante. Accepter la rature. Accepter la réécriture. Accepter qu’un personnage puisse naître de leur seule volonté, d’une sorte d’accident. Des personnages nés d’une humeur, d’une rencontre hasardeuse.
À bien y penser, nous sommes un peu comme ces créatures nées lors de cette séance : des accidents. Non ? Un spermatozoïde parmi une myriade d’autres. Celui-ci, et pas un autre.
C’est comme ça. C’est un accident. 

 

dimanche 7 avril 2013

SEANCE : L’AUTOPORTRAIT



Gustave Courbet
On va consacrer cette séance à l’art de l’autoportrait... Après nous être penchés sur des autoportraits réalisés par des écrivains célèbres ou de grands artistes-peintres – Courbet, Caravage, Van Eyck, Van Gogh, Frida Kahlo, Bacon, Andy Warhol –, nous nous lançons à notre tour dans l’art périlleux de s’auto-représenter... L’art risqué de présenter cette créature qui s’appelle « moi »…
 




Nan Goldin
 
Je suis né sous le nom de Yanis. Je ne viens pas de très loin, mais l’important c’est que je sois là et que je vive au jour le jour. Ce que je n’aime pas, surtout, c’est la méchanceté. Pourquoi les gens sont parfois si méchants ? Est-ce leur nature ? Je ne sais pas.
Yanis, 3°A, Collège Henri IV

Je suis sentimentale… Un peu trop par moments… C’est peut-être une façon de soigner un mal profond… La solitude et moi ça fait deux…
Naomie, 3°D, Collège Victor Hugo

Je suis une personne qui déteste la mort… Voilà ce que je suis…
Fabiola, 3°1, Collège Pierre Brossolette

Je suis Mohammad-Kévin, j’ai 14 ans et je porte des lunettes. Très souvent je manque de sommeil… Je suis moi-même et personne d’autre… J’aime la technologie, et être seul ou avec des personnes agréables… Ce que je ne supporte pas, c’est les personnes bruyantes, le bruit me fatigue… Je viens de mes origines, de mes parents...
Kévin, 3°D, Collège Victor Hugo

Je ne suis pas toi, mais plutôt moi : celle qui n’aime pas voir ses parents fatigués après une longue journée de travail.
Sonia, 3°A, Collège Henri IV

Je suis quelqu’un de 15 ans… Je viens de quelque part où les bourgeois n’ont pas accès… Un endroit où la police est la cause de tous nos problèmes… J’aime traîner dehors, jouer au foot, me battre… Les autres mes voient comme quelqu’un de méchant, violent, mais moi je suis juste quelqu’un qui a besoin de sa famille… Je voudrais pouvoir aller dans un monde complètement différent de celui où j’ai grandi…
Nabil, 3°1, Collège Pierre Brossolette

Je suis quelqu’un qui n’aime pas les fruits de mer…
Romanos, 3°A, Collège Henri IV

Je ne suis pas quelqu’un d’autre… Je suis moi… Je viens du ventre de ma mère et d’un hôpital de Bobigny…
Niouma, 3°D, Collège Victor Hugo

Je suis petite à l’extérieur mais grande à l’intérieur… Je suis celle à qui personne ne pourra jamais faire du mal…
Alicia, 3°1, Collège Pierre Brossolette

Je ne suis pas celui que je voudrais être… Je suis plutôt tout l’inverse… Je crois que je n’aime pas la vie. Certains me disent que c’est juste une mauvaise journée. C’est possible. Mais j’ai l’impression que cette journée dure, elle dure tous les jours… Je voudrais qu’on me voie invisible.
Wesley, 3°A, Collège Henri IV
Nan Goldin

Je suis quelqu’un qui vient d’ici et d’ailleurs…
Maryam, 3°D, Collège Victor Hugo

J’aime avant tout ma mère, même si je ne le lui montre pas… Et puis bien sûr j’aime le foot car pour moi c’est comme de l’art, c'est-à-dire qu’il m’aide : sans lui j’aurais pu être un voyou…
Badara, 3°A, Collège Henri IV

Je suis un peu de toi… Je viens de là où tu ne viens pas… J’aime les femmes, la musique, j’aime la vie… Je n’aime pas la guerre, la mort, les larmes… J’aimerais pouvoir partir loin de cette misère, loin de la vie qu’on mène, les jeunes des cités… J’aimerais pouvoir partir à la recherche d’une vie meilleure…
Noé, 3°1, Collège Pierre Brossolette

Je suis la personne que tu crois que je suis… Je ne suis pas la personne que je voudrais être… Ce que je n’aime pas, surtout, c’est le stress de la veille du brevet, pas plus que l’angoisse de la remise des bulletins…
Morad, 3°D, Collège Victor Hugo

Je suis loin, très loin, d’être une fille parfaite. Je suis souvent mal coiffée et je n’ai pas les mêmes goûts que les autres. Une fille qui sourit à l’extérieur alors qu’à l’intérieur elle pleure… Aujourd’hui je porte une bague rose et une montre verte et ça ne me dérange pas.
Karine, 3°A, Collège Henri IV

J’aime dormir, faire du sport et j’aime beaucoup mes cheveux…
Anonyme, 3°D, Collège Victor Hugo

Je suis juste moi et je suis fière d’être algérienne. Je suis celle qui vient de là où la colonisation s’est imposée mais où la convivialité tue la haine…
Sonia, 3°A, Collège Henri IV

Je suis Ovase, j’ai 15 ans et je suis le plus grand de ma famille… Je ne suis pas un indien, je suis un pakistanais…
Ovase, 3°1, Collège Pierre Brossolette

Je suis Mathieu, un adolescent de 14 ans qui vient d’un endroit plein de mauvais souvenirs… Des cicatrices sont gravées dans ma mémoire… J’ai connu les séparations, les disputes, la violence, les abandons, les déménagements… Mais je tourne les pages et la vie continue...
Mathieu, 3°A, Collège Henri IV

Je m’appelle Fatah, j’ai 14 ans, je viens de l’Algérie et je ne serai jamais quelqu’un d’autre car je serai toujours moi-même…
Fatah, 3°D, Collège Victor Hugo

Je suis très maladroite mais j’essaie de sourire dès que je le peux… Je ne suis ni belle, ni moche, ni folle, ni parfaite… Je suis quelqu’un de perdu dans ce monde… Je suis une Africaine vivant en France qui voit sa mère se tuer pour que ses enfants ne manquent de rien… Je suis quelqu’un qui ne sait pas où elle va…
Bermi, 3°1, Collège Pierre Brossolette


Nan Goldin
Mes origines sont gravées sur le Sable… Oui, sur "le Sable"… C’est comme ça que j’appelle mon pays, l’Egypte, qui est la pyramide de ma vie…
Fadi, 3°A, Collège Henri IV

Je suis simplement celle que je suis aux yeux des autres…
Tandia, 3°D, Collège Victor Hugo

Je suis un jeune homme qui suit un chemin plein d’obstacles et de pentes… Comme tout le monde, je viens d’un endroit que je n’ai pas choisi.
Daniel, 3°A, Collège Henri IV

Je suis une fille blessée, sensible et invisible… Je suis une fille qui se cherche encore...
Célia, 3°1, Collège Pierre Brossolette

Je ne sais pas qui je suis…
Océane, 3°A, Collège Henri IV

Je ne suis pas quelqu’un d’autre… Je suis moi… Je viens du ventre de ma mère et d’un hôpital de Bobigny...
Niouma, 3°D, Collège Victor Hugo

Je suis un simple habitant de cette grosse boule bleue… Je viens du Maroc et de Clichy-sous-Bois…
Abdelkader, 3°A, Collège Henri IV

Je suis peut-être un fils, un frère, un cousin, un ami… Je suis moi : un garçon de 14 ans… La seule chose que je n’aime pas c’est les Maths…
Anis, 3°D, Collège Victor Hugo

Je ne suis malheureusement pas un exemple, dans ma famille, mais je ne suis pas non plus la honte de celle-ci… Je viens de ce lieu que j’ai oublié, comme chacun d’entre nous, mais que j’essaie d’imaginer : le ventre de ma mère… J’aime de temps en temps être rien qu’avec moi-même…
Charline, 3°A, Collège Henri IV

Je viens de la bas… De loin… Peut-être d’un monde imaginaire… Je ne suis pas lui ni même elle… Je suis juste moi-même : quelqu’un qui n’aime pas écrire et pourtant…
Dieumba, 3°D, Collège Victor Hugo

Je suis un adolescente de 14 ans qui ne sait pas où elle va et cela me fait peur…
Daniela, 3°1, Collège Pierre Brossolette


Andy Warhol



 
APPLAUDISSEMENT

 
Par David Corre

 
 « Franchement, m’sieur, c’était trop bien !
– C’est vrai, ça vous a plu ?, s’étonne Sergio.
– Ah, carrément !, affirme une seconde. 
– Mieux que les fenêtres !, surenchérit une troisième. »
C’est vrai, les grands instants n’ont pas manqué au cours de cette séance – de la bouche de la majorité des élèves, la meilleure séance. Mais pourquoi un tel engouement ? Qu’y a-t-on fait ? Qu’y a-t-on vu ? Qu’y a-t-on entendu ?
Un soupçon de rodomontades. Une bonne portion de sourires. Une pincée de rires. Des minauderies, parfois. Des fêlures, beaucoup. Et des aveux, nombreux. Mais pas beaucoup plus qu’auparavant.
Alors pourquoi donc leur a-t-elle tant plu, cette séance ? Une séance d’autoportraits, a-t-elle de quoi plaire aux élèves ? – Est-ce vraiment étonnant ?
Les élèves aimeraient parler d’eux-mêmes ? Se montrer aux autres ? Se revendiquer ? – Ah oui, vraiment ? S’étonne-t-on réellement ?
À mon avis, on a tort de s’étonner : il fallait s’y attendre, même, je pense. Aujourd’hui plus que jamais, rien de surprenant dans ce goût de se montrer dont peuvent faire preuve nos élèves. C’est de leur temps, après tout : leurs comptes facebook ne révèlent-ils pas en grande partie cette volonté de s’afficher, de se montrer sous leur meilleur jour ? Combien de photos publiées aujourd’hui sur internet montrent quelqu’un dont on devine, par une épaule un peu plus haute que l’autre, que le modèle est aussi le photographe ? La majorité des photos est issue de nos smartphones, si bien qu’ils ont intégré, ces malins petits appareils, dans leur interface, un mode autoportrait. Comment pourrait-il en être autrement ? La technologie s’adapte à nos besoins, à nos modes de vie – à moins que ce ne soit l’inverse. Je ne sais plus.
En tout cas, le résultat est là : nos élèves savent, aujourd’hui, se montrer, se publier, se raconter. Ils n’ont été que quatre ou cinq à ne pas vouloir lire leur texte. Peu nombreux, de nos jours, ceux qui ont méthodiquement raturé – rendu proprement illisible – leur texte. Je crois pourtant que c’est bien ce que j’aurais fait moi-même, à leur place, à leur âge.
Le plus étonnant, pour moi, cependant, aura résidé dans le contenu des textes. Encore une fois : objectif atteint, pour Sergio. Je sais qu’il est souvent bluffé par les résultats de notre classe – grâce à lui, je soupçonne d’ailleurs que la réussite d’un atelier s’évalue davantage à la surprise des textes obtenus qu’à leur adéquation à une attente fixée préalablement. L’animateur est comme un contrôleur : il place les voyageurs dans le wagon, s’assure qu’ils ont leur ticket et le poinçonne, mais il ne connaît pas réellement la destination ni la longueur du voyage.
Un atelier réussi, je crois, c’est un animateur surpris.
 
*** 
 
Mais cela ne le dispense pas de surprendre ses stagiaires.
Cette semaine, comme diraient les élèves, agréablement surpris : dispositif The Voice. Pour s’extraire du regard des autres, pour s’éloigner de l’apparence physique, pour faciliter les éventuelles révélations ou pour empêcher toute tentative de séduction, Sergio tire une table au fond de la classe : il nous faudra tourner le dos au lecteur, nous concentrer sur sa voix, sur ses mots prononcés à haute voix après avoir été couchés sur le papier.
Inflexions du ton. Langue qui fourche. Hésitations et reprises – ils se rendent compte qu’ils manquent de soin. La voix qui tremble un peu, parfois. Le dispositif est miraculeux : les yeux fermés – comme pour redoubler la mise en scène –, je reproduis le portrait de celui qui lit sur mon écran intérieur. J’invoque ses traits. Je le peins avec ses propres mots. Je recrée mes élèves – et je les découvre dans le même mouvement. Je les rends semblables à ce que j’en ai toujours vu et, dans le même temps, à ce qu’ils m’apprennent d’eux-mêmes. Oscar Wilde répétait que la vie imite l’art. J’en suis bien persuadé – et en ce jour plus que jamais.
J’ai l’impression qu’ils ne prononcent leurs aveux qu’à moi-même, à mon oreille. Confessionnal improvisé. On a quitté la classe, on est assez loin des parades habituelles.
De plus, la distance aura eu un autre effet, aujourd’hui, tout aussi surprenant : chaque lecture se clôt par des applaudissements. C’est une première. Que révèle ce besoin ?
Je ne sais pas, mais j’ai entendu expliquer, la semaine dernière, d’où viendraient cette habitude des applaudissements : ils seraient le signe, à distance, de notre envie d’embrasser l’autre, de le serrer dans ses bras – mais, l’espace étant vide, la main gauche ne rejoint que la main droite…
 
***
 
Les autoportraits choisis pour être projetés avaient déjà été vus il y a quinze jours. Quelle joie pour les élèves de les reconnaître, de rappeler à Sergio ce qu’il leur avait dit, de lui montrer qu’ils se rappelaient tout !
Il insiste encore un peu sur cette notion essentielle : l’autoportrait est rarement laudateur. À la différence des clichés qu’on veut afficher sur ses comptes, on ne s’y montre pas nécessairement sous son meilleur jour. Autoportraits de Frida aux sept douleurs, de Frida en garçon, tête presque rasée, ou de Frida à moustaches et sourcils épais, entourée de singes. Autoportrait de Bacon, boursouflé, fendu – affreux. Photos-chocs de Nan Goldin dans tous ses états. Les artistes aiment montrer leurs blessures. Ils aiment s’enlaidir – ou se montrer laids.
Le message est passé, à coup sûr : les textes des élèves s’écartent très souvent de l’autocélébration. Sans fard, ou presque, fictionnant aussi peu que possible, ils ont dit non pas tant qui ils sont que qui ils croient ou voudraient être – et c’est déjà énorme !
Chacun a révélé beaucoup de ses blessures, sans exhibition, avec souvent une grande retenue. Ainsi, je retiens ce désir de très nombreuses fois répété : « Je voudrais que les autres me voient tels que je suis vraiment. »
Volonté ? Désir ? Ou plutôt aveu que chacun se cache sans cesse derrière ses nombreux masques ?
 
Pour moi, quoi qu’il en soit, je les connais un peu mieux : ils ont soulevé un coin du masque.
Et pour le coup, je rejoins mes élèves : c’est vrai que cette séance a été particulièrement réussie !


Jan Van Eyck