samedi 8 décembre 2012

SEANCE : LE PUNCTUM…


Lors de cette séance, nous avons travaillé à partir de photos des Natures Mortes, en essayant d’utiliser ces images comme déclencheur d’écriture. Après avoir déchiffré collectivement quelques photographies bien choisies, les élèves se lancent dans l’écriture. La consigne est d’aborder chaque photo en essayant de développer par écrit ce qui touche, attire, captive, interpelle l’œil… C'est-à-dire essayer de saisir ce qui me pique d’une photo, ce qui me blesse, ce qui me perce… Cela, cette flèche qui part de l’image et qui vient vers moi, Roland Barthes le nomme « punctum ». Dans le déluge permanent, presque obscène, d’images médiatisées, qui finit par nous rendre assez indifférents aux images du monde qui nous entoure, il me semble que ce travail de décryptage permet de développer ce que j’appelle le « regard sensible » : prendre le temps de regarder les photographies, de les penser, de les réinventer. C’est aussi un plaisir : celui de s’approprier les images pour mieux les intérioriser. Car finalement l’écriture, c’est avant tout une affaire de regard sur le monde, et ce regard est multiple…
 
 
 
Cette photo me fait penser que la beauté passe vite.





Isiane, 3°D, Collège Victor Hugo
 
Ce qui m’intrigue dans cette photo, c’est la fleur de droite qui est toute seule… Elle me fait penser à la Mort solitaire…
Alexandre, 3°3, Collège Théodore Monod
 
Ce qui m’interpelle, c’est qu’elles sont toutes bien regroupées dans la mort...
Maxime, 3°A, Collège Henri IV
 
Ces fleurs fanées me font penser à une femme qui est fatiguée de faire le ménage…
Priscillia, 3°D, Collège Victor Hugo
 
Cet environnement n’est pas très confortable… L’air sans vie… Tout est triste…
Warda, 3°3, Collège Théodore Monod
 
Je suis captivée par une fleur à gauche : on dirait qu’elle meurt avec grâce et élégance...
Maghnia, 3°A, Collège Henri IV
 
Ce qui m’intrigue c’est la couleur rose de ces fleurs, j’ai l’impression que cette couleur n’est pas à sa place à cet endroit.
Niouma, 3°D, Collège Victor Hugo
 
En regardant cette image je pense que la vie est éphémère comme une fleur qui fane...
Fabien, 3°3, Collège Théodore Monod
 
Ce qui m’interpelle c’est la position des ces fleurs fanées : on dirait que ça a été une mort désespérée...
Badara, 3°A, Collège Henri IV
 
Mon regard est attiré par l’eau du vase, on dirait qu’elle est très sale… On dirait qu’elle retient la vie des ces fleurs qui sont en train de mourir…
Elodie, 3°3, Collège Théodore Monod
 
Je suis captivée par une fleur à gauche : on dirait qu’elle meurt avec grâce et élégance...
Maghnia, 3°A, Collège Henri IV
 
Ces fleurs fanées me font penser que la vie est de très courte durée.
Naomie, 3°D, Collège Victor Hugo
 
Ce qui m’interpelle, c’est la couleur des pétales : elles sont bien roses alors que les fleures sont mortes. Cela donne une espèce de « vie » à la mort…
Eloïse, 3°3, Collège Théodore Monod
 
 
 
Cette mouche dans la bouche m’intrigue… Cela me provoque la peur de ce qui va arriver un jour…
Alexandre, 3°3, Collège Théodore Monod
 
Ce qui m’interpelle, c’est la proximité du photographe qui a dû approcher vraiment la mort pour prendre cette photo…
Kimberley, 3°D, Collège Victor Hugo
 
En regardant cette mouche et les larves qui vont bientôt s’occuper de la décomposition, je pense à ce qui va se passer après la mort…
Nada, 3°3, Collège Théodore Monod
 
Je suis interpellée par la blancheur de dents dans une scène si sombre...
Maryne, 3°A, Collège Henri IV
 
En regardant cette photo, je pense que personne ne sera épargné… On va tous y passer...
Dieumba, 3°D, Collège Victor Hugo
 
Cette mouche me gêne… Ces dents aussi… Cette bouche ouverte… La mort est quelque chose de vraiment répugnant.
Roland, 3°3, Collège Théodore Monod
 
Mon œil est attiré par cette mouche qui a senti l’odeur de la mort...
Florian, 3°A, Collège Henri IV
 
Ce qui me touche, c’est qu’il sourit même après sa mort, malgré la mort.
Anissa, 3°D, Collège Victor Hugo
 
Et si c’était une scène d’amour ? Un moment de tendresse où la mouche amoureuse de son âne se dispose à ne plus le quitter et à veiller sur lui... Comme si finalement l’amour était plus fort que la mort.
Maghnia, 3°A, Collège Henri IV
 

Ces oranges abandonnés ici depuis longtemps me font penser à la solitude de l’oubli… Personne ne les a prises…
Naomie, 3°D, Collège Victor Hugo
 
Le fruit interdit, parfaitement bien représenté : la lumière nous attire vers le fruit mais le moisi nous empêchera finalement de le manger.
Maghnia, 3°A, Collège Henri IV
 
Oranges ou pommes de terre ? … La moisissure change tout…
Samia, 3°3, Collège Théodore Monod
 
L’orange de droite, marquée, pourrie, comme vérolée, garde les traces de ce qu’elle fût, a conservé la marque de son écorce, comme si elle s’accrochait à son ancien état, et résistait à l’avancée de la pourriture… Au milieu de la moisissure, elle brille comme une pépite précieuse.
M Corre, 3°A, Collège Henri IV
 
Ce qui m’interpelle, c’est la violence de cette lumière, on dirait que c’est elle qui pourrit l’orange...
Priscillia, 3°D, Collège Victor Hugo
 
Je suis attiré par le reflet dans l’assiette, la pourriture qui semble devenir pain : du non comestible au comestible.
M Nowack, 3°A, Collège Henri IV
 
Ce qui me captive, c’est le coté trésor doré de cette orange car l’artiste a réussi à mêler le dégout de la pourriture avec le plaisir de l’or…
Mme Verleure, 3°D, Collège Victor Hugo
 
Cette image me fait penser à la solitude et à l’abandon, comme si personne n’avait voulu venir chercher ces fruits.
Romanos, 3°A, Collège Henri IV
 
Ce qui m’impressionne de cette photo, c’est qu’on voit que la pourriture gagne du terrain… On sent que ça va bientôt venir…
Gwendal, 3°3, Collège Théodore Monod
 
Ce qui me captive, c’est l’effet de la lumière sur l’orange du fond, car on dirait que c’est cette lumière qui épluche le fruit.
Maxime, 3°A, Collège Henri IV
 
Ça suffirait de gratter la croûte pour voir toute la splendeur qui se cache…
Eloïse, 3°3, Collège Théodore Monod
 
Malgré ces oranges en train de pourrir, il y a un reflet de lumière comme si c’était un espoir de vie.
Sonia, 3°A, Collège Henri IV

 
 
Cette blancheur me produit une énorme tristesse… Je ne sais pas pourquoi…
Reyhan, 3°3, Collège Théodore Monod
 
Ce qui me captive dans cette photo, c’est l’absence totale de couleur… L’absence totale de vie... Il y a un énorme vide…
Manon, 3°A, Collège Henri IV
 
Je suis attirée par le vide de ce lieu : c’est pour moi l’avant quelque chose ou l’après quelque chose…
Selin, 3°D, Collège Victor Hugo
 
Cette nappe d’une blancheur éclatante, on dirait que c’est un fantôme qui se balade au milieu du noir.
Eloïse, 3°3, Collège Théodore Monod
 
Les coins de nappe semblent fatigués : absence de vie, de joie… Les bras ballants.
M Nowack, 3°A, Collège Henri IV
 
Blanc et noir… Coté clair et coté sombre… Lumière et obscurité… Le paradis et l’enfer…
Roland, 3°3, Collège Théodore Monod
 
Cette photo me fait penser à l’union du blanc et du noir : lutte contre le racisme…
Badara, 3°A, Collège Henri IV
 
Je pense au lendemain de quelque chose qui s’est déjà terminé… Terminé pour toujours.
Anis, 3°D, Collège Victor Hugo
 
Ce qui m’interpelle, c’est le mariage du corbeau et de la colombe...
Maghnia, 3°A, Collège Henri IV
 
On pourrait dire une colombe blanche au milieu d’un monde de tristesse et de mort…
Fabien, 3°3, Collège Théodore Monod
 
Cette photo me fait penser à l’union du blanc et du noir : lutte contre le racisme…
Badara, 3°A, Collège Henri IV
 
Tout se joue entre la lumière et l’ombre… Comme dans la vie…
Maryam, 3°D, Collège Victor Hugo
 
La blancheur au centre d’un monde de haine et des ténèbres…
Benoît, 3°3, Collège Théodore Monod
 

Ces kleenex autour du cadavre donnent l’impression d’un déchet…
Alban, 3°3, Collège Théodore Monod
 
Ce qui m’interpelle dans cette photo, c’est que l’oiseau, il est tellement mort, qu’il se confond même avec les feuilles…
Kévin, 3°D, Collège Victor Hugo
 
Feuille mortes sur oiseau mort… Tristesse sur tristesse…
Samia, 3°3, Collège Théodore Monod
 
Je suis écœurée par la proximité de ces mouchoirs souillés et de ce cadavre…
Claire, 3°A, Collège Henri IV
 
En regardant ce pigeon mort, je pense qu’intelligents ou bêtes, un jour ou l’autre, on sera tous morts…
Isiane, 3°D, Collège Victor Hugo
 
Je pense que ces mouchoirs blancs, c’est ce qui reste des funérailles de l’oiseau mort…
Doussou, 3°3, Collège Théodore Monod
 
Il y a cinq mots qui me viennent à l’esprit en regardant cette image : vie, seul, désespoir, mort, poubelle…
Badara, 3°A, Collège Henri IV
 
Etre délaissé au bord d’un trottoir m’inspire du dégout…
Fabien, 3°3, Collège Théodore Monod
 
Ce qui m’interpelle dans cette photo, c’est que l’oiseau, il est tellement mort, qu’il se confond même avec les feuilles…
Kévin, 3°D, Collège Victor Hugo
 
Je suis captivée par toutes ces feuilles mortes car malgré le cadavre, l’automne passe, le temps se coule et le passé a déjà disparu… Tout cela me fait penser que l’hiver viendra et tout cela sera couvert de neige.
Maghnia, 3°A, Collège Henri IV
 
Les feuilles furent son cimetière…
Selin, 3°D, Collège Victor Hugo
 
 
Malgré la couleur bleu du Paradis, la couleur rouge est là : rouge sang, rouge enfer, rouge colère...
Karine, 3°A, Collège Henri IV
 
– Sergio, cette image me fait penser à quelque chose… Je ne sais pas si je peux l’écrire…
– Elle te fait penser à quoi ?
– Je ne sais pas… Elle me fait penser à la drogue… A la seringue de quelqu’un qui se drogue… A l’héroïne… A la mort…
– C’est très bien… Écris-le…
– Je peux ?
– Et pourquoi tu ne pourrais pas ?
Dialogue avec Reyhan, 3°3, Collège Théodore Monod
 
Face à cette image, je pense à une personne qui vient de faire une overdose et qui est en train de partir au paradis...
Maryne, 3°A, Collège Henri IV
 
On pourrait croire que les objets flottent dans un ciel bleu… Qu’on navigue dans un océan…
Eloïse, 3°3, Collège Théodore Monod
 
Un bad trip, dernière vue avant la mort...
M Nowack, 3°A, Collège Henri IV
 
Je suis captivé par la luminosité intense de cette image… Elle m’emporte. Elle provoque en moi un doute entre la vie et la mort
Naomie, 3°D, Collège Victor Hugo
 
C’est comme si on avait jeté ces objet en l’air et puis qu’on avait bloqué le temps, juste le temps de les contempler…
Roland, 3°3, Collège Théodore Monod
 
Ce qui me fascine, c’est de voir une lumière si vive posée sur des objets sans vie...
Kimberley, 3°D, Collège Victor Hugo
 
Je pense à une scène de résurrection : soudain, le couloir de la mort nous ramène à la vie...
Maghnia, 3°A, Collège Henri IV
 

Tous ces cadavres, semblables et sans rien pour les différencier, me font penser que la mort sera pareille pour nous tous…
Selin, 3°D, Collège Victor Hugo

Toutes ces vaches alignées me font penser à une boucherie… Il s’est passé quelque chose.
Roland, 3°3, Collège Théodore Monod

Je suis attirée par cette étiquette qui est la seule chose humaine de cette photo.
Karine, 3°A, Collège Henri IV

Ce qui m’étonne, c’est la chorégraphie de ces carcasses : elles sont toutes synchronisées, un vrai ballet !
Mme Verleure, 3°D, Collège Victor Hugo

Cette image me fait penser à un génocide, car plusieurs animaux de la même race ont été tués... Je pense à une extermination d’humains…
Fadi, 3°A, Collège Henri IV

Le nombre et l’alignement me font penser à un spectacle de french cancan…
Sandra, 3°3, Collège Théodore Monod

Après la mort, nous serons tous pareils…
Mariane, 3°D, Collège Victor Hugo

On pense à la mort qui n’en finit plus.
Sonia, 3°A, Collège Henri IV

En regardant cette image, une seule idée me vient à l’esprit : oh ! la vache !!!!
Alexi, 3°3, Collège Théodore Monod

Au milieu de cet abattoir et en regardant toutes ces côtes, je pense à Eve qui est née d’une côte d’Adam.
Naomie, 3°D, Collège Victor Hugo

Tous ces cadavres d’un même animal, alignés et multipliés, ça fait penser à un camp d’extermination.
Matthieu, 3°A, Collège Henri IV

Tous ces cadavres pareils les uns aux autres me font penser à un génocide…
Benoît, 3°3, Collège Théodore Monod

Moi, j’aime cette photo. Elle m’attire car elle me donne envie d’y aller et de toucher, de toucher, de toucher...
Badara, 3°A, Collège Henri IV



Ce qui m’attire dans cette photo, c’est le trou dans le crâne du centre : il a été assassiné ou suicidé ?
Maryne, 3°A, Collège Henri IV

Ce qui m’interpelle, ce sont les cavités à l’intérieur des orbites des têtes, j’ai l’impression qu’ils nous observent encore.
Mme Verleure, 3°D, Collège Victor Hugo

Sur le crâne de gauche, j’ai l’impression de voir une larme qui coule de l’œil droit… Et cette larme imaginaire me fait penser à une mort atroce, comme s’il avait beaucoup souffert avant de s’en aller…
Alban, 3°3, Collège Théodore Monod

Devant cette image, je pense à quel point l’homme peut être mangé par le temps…
Badara, 3°A, Collège Henri IV

Ce qui attire mon œil, c’est l’humidité sur le mur derrière qui évoque pour moi des larmes qui coulent pour ces trois morts qui ne sont plus là.
Warda, 3°3, Collège Théodore Monod

En regardant ces trois crânes, je pense que sans notre peau, finalement, nous sommes tous pareils…
Imane, 3°D, Collège Victor Hugo

– Monsieur, moi aussi je vais être comme ça quand je serai mort ?
– Oui, comme tout le monde…
– Comme ça, carrément comme ça ?
– Oui… On a tous un crâne…
– Ah, d’accord… Donc mon avenir c’est ça ?
– D’une certaine manière…
Dialogue avec Roland, 3°3, Collège Théodore Monod

Ce qui me captive, c’est les creux de leurs yeux : ils n’ont plus aucun regard, plus aucun sentiment… Tout est fini…
Charline, 3°A, Collège Henri IV

Ces trois crânes me font penser au temps qui passe sans interruption : un jour on est vivant, l’autre jour on est un cadavre, un autre jour un tas d’os et puis enfin nous redevenons poussière.
Kevin, 3°D, Collège Victor Hugo



L’UN ET LE MULTIPLE

Par David Corre

 

Sergio a choisi une dizaine de photos dignes de nous captiver, et nous a demandé de trouver, dans chacune d’elles, le détail qui nous appelle, nous interpelle : le punctum, le point de convergence de notre attention.
 
Huit photographies. Des verres. Un dé et des points.
 
Plusieurs fleurs pourrissant dans une même eau sale. Une nappe trop blanche cernée de places vides. Un pigeon et son œil couverts de feuilles mortes. File obscène de bœufs, écorchés, éventrés, les côtes exposées, et leurs moignons sanglants.

***
 
Une image. Une photographie. Dans ma salle devenue obscure, un œil unique, lumineux, parfaitement rond, projette sur mon tableau blanc, vide de tout savoir, une image du monde, une image fixe, figée – pour l’éternité ? Mes yeux fixent cette image.
 
Les leurs aussi. Nous regardons la même image, mais ne voyons pas la même chose, comme souvent – c’est notre humanité qui veut ça, je crois. Sur le mur de ma salle – celle que, depuis trois ans, j’appelle affectueusement ma « caverne » –, nous sommes tous assis, à fixer un mur presque vide – sauf que le monde s’y reflète, à coup d’ombres et de lumières.
 
Nous regardons cette photographie, cette image du monde, mais nous ne regardons pas le monde – tout juste un reflet, à peine un instant ! Et nous ne voyons pas le même reflet (Sergio nous l’a montré, si besoin était). Invoquant Barthes et son punctum – arme théorique ô combien pénétrante que ce poinçon, ce dard, cette flèche qui nous pénètre et s’immisce en nous, en nous se fraie un chemin ! (Où l’on retrouve l’idée du chemin qui, lentement, fugitivement, se trace, de nos yeux à notre cœur puis à notre bouche, dans le fracas des mots du dehors, des mots de tout le monde, et qui bientôt nous submergeront à nouveau…)
 
Et dans le fatras de tous nos chemins solitaires, intimement tracés, en intérieurs secrets, dans l’entremêlement de nos regards, la parole invoquée par Sergio vient unifier notre vision, notre perception, et multiplier les détails que nous ne voyions pas auparavant. Et l’image unique que nous pensions voir, par la multiplication de nos regards et de nos significations, s’enrichit, s’accroît, se démultiplie. Nos sensibilités s’unissent pour tenter de percer en retour le mystère de cette image qui nous défie, imperturbable. Image désormais criblée par nos punctums. Retour à l’envoyeur. Après tout, c’est elle qui avait commencé.

***

J’avais écrit, un jour, que ce n’est pas Dieu qui est infini, mais les chemins qui y mènent. Je crois aujourd’hui que le monde n’est pas fini, car infinis sont les regards qui le contemplent, et tentent d’en percer le mystère.

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