dimanche 27 janvier 2013

SEANCE: VISITE AU MUSEE D’ORSAY


Pour cette huitième séance de travail, c’est au Musée d’Orsay que nous nous retrouvons. Nous venons suivre une conférence sur le thème du Paysage. Guidés par la conférencière, nous sommes confrontés aux plus beaux Paysages accrochés au Musée d’Orsay. Cette visite est une vraie balade durant laquelle, en une heure et demie, nous nous promenons dans les champs tantôt ensoleillés, tantôt enneigés du peintre Monet, ou dans les jardins secrets de Manet, dans les territoires lointains de Gauguin, dans les espaces tourmentés de Van Gogh…

 
J’adore faire découvrir ce Musée aux élèves. Pas seulement pour la collection d’art qu’il recèle, mais aussi pour le lieu : le fait que ce musée soit établi dans une ancienne gare de chemin de fer est très intéressant pour moi. Cela perme de réfléchir à ce qu’il y a de contradictoire entre ce deux lieux, la « gare » et le « musée » : une gare c’est un endroit de passage, de départ, où l’on est pressé, où l’on s’arrête peu, c’est un lieu ouvert ; le musée au contraire est lieu où l’on se pose, où l’on prend son temps, c’est un lieu fermé où le temps paraît figé dans une éternité… Et si l’on pousse un peu plus loin cette idée, il ne s’agit finalement pas de deux notions si contradictoires. En fin de compte, un musée c’est toujours une invitation à partir dans un ailleurs imaginaire… Vers ces nouveaux paysages qui s’ouvrent à nous… Vers ces nouvelles géographies vierges encore de nos regards…


Dès que nous rentrons au Musée, j’explique aux élèves qu’entre avril et août 1945, après la fin de Seconde Guerre Mondial, cette gare a été un centre d’accueil pour le déportés de retour des camps… Tout d’un coup un silence s’installe… Chacun sait de quoi je parle. Ils sont en train d’étudier la Seconde Guerre Mondiale dans leur cours d’Histoire… On se regarde… Je leur dis quelques mots… Ils comprennent alors que les paysages peuvent aussi être ceux de l’horreur, de la catastrophe, de l’enfer sur terre, de l’effroi… Et ils pressentent aussi que de nous dépendent les couleurs qu’auront les paysages de demain…


Avant de commencer la visite, je lis cette phrase de Marcel Proust «Le véritable voyage de découverte ne consiste pas à chercher de nouveaux paysages, mais à avoir de nouveaux yeux.»


«On y va ?» leur dis-je… «On y va», me répondent-ils, contents d’être là, prêts pour un grand départ…


 
 



TRIANGULER L'HORIZON


 
Par David Corre


Deux séances pour changer d’échelle. Deux séances pour prendre du recul et élargir notre champ de vision. Quitter le monde des objets, la myopie du maniaque qui compulse ses listes, ou de l’avare comptant et recomptant ses sous. En deux semaines, Sergio nous a fait ouvrir les yeux comme on ouvre grand les fenêtres, au printemps, pour laisser entrer le soleil, enfin, pour s’ouvrir à nouveau au monde extérieur. Déception, quand même, un peu, de quitter le gros plan des objets qui nous conduisait à nous-mêmes, dans un monologue rassurant.

Mais non, il faut s’ouvrir, il faut accepter de porter son regard plus loin. Prendre de l’air et lever le nez pour se laisser gagner par la lumière. Comme cet homme seul sur cette plage brumeuse, contemplant la mer étendue à ses pieds ou la côte, là-bas, au loin. Auparavant, nous étions comme le pompiste de Hopper, avachi, l’échine courbée, tournant le dos au sombre mur forestier qui semble l’épier. Désormais, nous levons les yeux, élargissons le regard, sommons l’horizon de nous livrer ses secrets, de se laisser enfin approcher.

 
***

Après nous avoir fait lever les yeux sur cinquante paysages, Sergio fait mine de nous renvoyer à nos titres d’une séance précédente – seule nouveauté, cette contrainte de forme : composer des hexa ou des heptasyllabes. Pourquoi donc ? Six ou sept syllabes seulement, pour dire l’immensité d’un paysage qui s’offre à nous ? C’est peu – mais c’est parfois beaucoup.

Piège de la contrainte : Sergio, rusé braconnier, a truffé ses paysages de collets dans lesquels nous nous laissons encore une fois prendre. Il nous réunit ensuite d’autorité, profitant de notre surprise – personne n’ose rien dire –, et nous fait composer, avec nos titres, à quatre mains, de très courts textes – comme des haïkus. Chacun de nos regards s’allie alors aux autres pour traverser le tableau, le démasquer, pour en tirer une vérité, et, comme lors de l’association de nos divers punctums, en extraire, finalement, la richesse polysémique. Encore une fois, nous découvrons que la diversité de nos regards fait apparaître des vérités que nous ne soupçonnions pas, et qui démultiplie l’œuvre. Une nouvelle fois, nous sommes tous consternés, ahuris, par la richesse de cette triangulation de nos regards sur les œuvres : ce n’est pas nous qui sommes pris au piège, finalement, c’est le paysage.
 
***

Musée d’Orsay. Un conférencier venu de loin nous offre un petit parcours de l’histoire des arts. Notre guide fait son métier : il nous offre un trajet, nous guide d’un balbutiement à un essai. Depuis les paysages remaniés et manipulés par les peintres académiques jusqu’aux innovations des impressionnistes, en passant par les recherches de Courbet, notre regard, une nouvelle fois, s’aiguise : premier plan, second plan, arrière-plan. Tous les peintres utilisent ces trois plans pour mimer la profondeur, pour retrouver les trois dimensions, pour leurrer nos sens et recréer le monde sur le plat de la toile. Chacun cherche sa vérité dans le déploiement de ses techniques. Ainsi Gustave Guillaumet et sa Prière du Soir dans le Sahara, sorte de jeu des sept erreurs : prieurs réinventés, désert de lieux communs avec ses tentes, des burnous en fatras, la fumée grêle d’un four de pierres et du soleil qui n’en finit pas de se coucher et de rougeoyer. Et que dire de ce troupeau d’éléphants et son parterre de flamants roses tout droits sortis d’un film de Walt Disney ? Le « bête XIXème siècle » qui s’invente de nouveaux horizons, comme on dresse, aujourd’hui, des décors plus vrais que nature dans la banlieue de Los Angeles.

Et le conférencier d’expliquer que, finalement, c’est quand ça ressemble le plus à ce qu’on s’attendait à voir que c’est le plus faux ! L’art académique, aux traits sûrs, aux couleurs bien délayées et étalées, est le plus trompeur. Heureusement, Courbet – puis les impressionnistes – avec leurs taches, avec leurs dessins sans contour, avec toute la matière de la peinture projetée en épaisseur, tente de retrouver la réalité du paysage. Si on s’approche trop près de la toile, on ne distingue plus rien, on ne voit plus que la matière agglomérée, mal mélangée – du vert comme projeté sur la toile pour signifier le feuillage, du bleu, du blanc et du rouge, pour dire les drapeaux tricolores qui flottent dans le vent. De près, on ne voit que des taches discontinues. Pour saisir le paysage, il faut reculer. Prendre du champ.

Et une nouvelle fois, lors de notre périple avec Sergio, nous nous retrouvons à notre point de départ, qu’on avait cru quitter et qu’on retrouve un peu plus loin, par un autre chemin. Comme l’horizon qu’on n’atteint jamais, qu’on poursuit tout le temps. Et pourtant, on avance… Tout simplement.


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