dimanche 7 avril 2013

SEANCE : L’AUTOPORTRAIT



Gustave Courbet
On va consacrer cette séance à l’art de l’autoportrait... Après nous être penchés sur des autoportraits réalisés par des écrivains célèbres ou de grands artistes-peintres – Courbet, Caravage, Van Eyck, Van Gogh, Frida Kahlo, Bacon, Andy Warhol –, nous nous lançons à notre tour dans l’art périlleux de s’auto-représenter... L’art risqué de présenter cette créature qui s’appelle « moi »…
 




Nan Goldin
 
Je suis né sous le nom de Yanis. Je ne viens pas de très loin, mais l’important c’est que je sois là et que je vive au jour le jour. Ce que je n’aime pas, surtout, c’est la méchanceté. Pourquoi les gens sont parfois si méchants ? Est-ce leur nature ? Je ne sais pas.
Yanis, 3°A, Collège Henri IV

Je suis sentimentale… Un peu trop par moments… C’est peut-être une façon de soigner un mal profond… La solitude et moi ça fait deux…
Naomie, 3°D, Collège Victor Hugo

Je suis une personne qui déteste la mort… Voilà ce que je suis…
Fabiola, 3°1, Collège Pierre Brossolette

Je suis Mohammad-Kévin, j’ai 14 ans et je porte des lunettes. Très souvent je manque de sommeil… Je suis moi-même et personne d’autre… J’aime la technologie, et être seul ou avec des personnes agréables… Ce que je ne supporte pas, c’est les personnes bruyantes, le bruit me fatigue… Je viens de mes origines, de mes parents...
Kévin, 3°D, Collège Victor Hugo

Je ne suis pas toi, mais plutôt moi : celle qui n’aime pas voir ses parents fatigués après une longue journée de travail.
Sonia, 3°A, Collège Henri IV

Je suis quelqu’un de 15 ans… Je viens de quelque part où les bourgeois n’ont pas accès… Un endroit où la police est la cause de tous nos problèmes… J’aime traîner dehors, jouer au foot, me battre… Les autres mes voient comme quelqu’un de méchant, violent, mais moi je suis juste quelqu’un qui a besoin de sa famille… Je voudrais pouvoir aller dans un monde complètement différent de celui où j’ai grandi…
Nabil, 3°1, Collège Pierre Brossolette

Je suis quelqu’un qui n’aime pas les fruits de mer…
Romanos, 3°A, Collège Henri IV

Je ne suis pas quelqu’un d’autre… Je suis moi… Je viens du ventre de ma mère et d’un hôpital de Bobigny…
Niouma, 3°D, Collège Victor Hugo

Je suis petite à l’extérieur mais grande à l’intérieur… Je suis celle à qui personne ne pourra jamais faire du mal…
Alicia, 3°1, Collège Pierre Brossolette

Je ne suis pas celui que je voudrais être… Je suis plutôt tout l’inverse… Je crois que je n’aime pas la vie. Certains me disent que c’est juste une mauvaise journée. C’est possible. Mais j’ai l’impression que cette journée dure, elle dure tous les jours… Je voudrais qu’on me voie invisible.
Wesley, 3°A, Collège Henri IV
Nan Goldin

Je suis quelqu’un qui vient d’ici et d’ailleurs…
Maryam, 3°D, Collège Victor Hugo

J’aime avant tout ma mère, même si je ne le lui montre pas… Et puis bien sûr j’aime le foot car pour moi c’est comme de l’art, c'est-à-dire qu’il m’aide : sans lui j’aurais pu être un voyou…
Badara, 3°A, Collège Henri IV

Je suis un peu de toi… Je viens de là où tu ne viens pas… J’aime les femmes, la musique, j’aime la vie… Je n’aime pas la guerre, la mort, les larmes… J’aimerais pouvoir partir loin de cette misère, loin de la vie qu’on mène, les jeunes des cités… J’aimerais pouvoir partir à la recherche d’une vie meilleure…
Noé, 3°1, Collège Pierre Brossolette

Je suis la personne que tu crois que je suis… Je ne suis pas la personne que je voudrais être… Ce que je n’aime pas, surtout, c’est le stress de la veille du brevet, pas plus que l’angoisse de la remise des bulletins…
Morad, 3°D, Collège Victor Hugo

Je suis loin, très loin, d’être une fille parfaite. Je suis souvent mal coiffée et je n’ai pas les mêmes goûts que les autres. Une fille qui sourit à l’extérieur alors qu’à l’intérieur elle pleure… Aujourd’hui je porte une bague rose et une montre verte et ça ne me dérange pas.
Karine, 3°A, Collège Henri IV

J’aime dormir, faire du sport et j’aime beaucoup mes cheveux…
Anonyme, 3°D, Collège Victor Hugo

Je suis juste moi et je suis fière d’être algérienne. Je suis celle qui vient de là où la colonisation s’est imposée mais où la convivialité tue la haine…
Sonia, 3°A, Collège Henri IV

Je suis Ovase, j’ai 15 ans et je suis le plus grand de ma famille… Je ne suis pas un indien, je suis un pakistanais…
Ovase, 3°1, Collège Pierre Brossolette

Je suis Mathieu, un adolescent de 14 ans qui vient d’un endroit plein de mauvais souvenirs… Des cicatrices sont gravées dans ma mémoire… J’ai connu les séparations, les disputes, la violence, les abandons, les déménagements… Mais je tourne les pages et la vie continue...
Mathieu, 3°A, Collège Henri IV

Je m’appelle Fatah, j’ai 14 ans, je viens de l’Algérie et je ne serai jamais quelqu’un d’autre car je serai toujours moi-même…
Fatah, 3°D, Collège Victor Hugo

Je suis très maladroite mais j’essaie de sourire dès que je le peux… Je ne suis ni belle, ni moche, ni folle, ni parfaite… Je suis quelqu’un de perdu dans ce monde… Je suis une Africaine vivant en France qui voit sa mère se tuer pour que ses enfants ne manquent de rien… Je suis quelqu’un qui ne sait pas où elle va…
Bermi, 3°1, Collège Pierre Brossolette


Nan Goldin
Mes origines sont gravées sur le Sable… Oui, sur "le Sable"… C’est comme ça que j’appelle mon pays, l’Egypte, qui est la pyramide de ma vie…
Fadi, 3°A, Collège Henri IV

Je suis simplement celle que je suis aux yeux des autres…
Tandia, 3°D, Collège Victor Hugo

Je suis un jeune homme qui suit un chemin plein d’obstacles et de pentes… Comme tout le monde, je viens d’un endroit que je n’ai pas choisi.
Daniel, 3°A, Collège Henri IV

Je suis une fille blessée, sensible et invisible… Je suis une fille qui se cherche encore...
Célia, 3°1, Collège Pierre Brossolette

Je ne sais pas qui je suis…
Océane, 3°A, Collège Henri IV

Je ne suis pas quelqu’un d’autre… Je suis moi… Je viens du ventre de ma mère et d’un hôpital de Bobigny...
Niouma, 3°D, Collège Victor Hugo

Je suis un simple habitant de cette grosse boule bleue… Je viens du Maroc et de Clichy-sous-Bois…
Abdelkader, 3°A, Collège Henri IV

Je suis peut-être un fils, un frère, un cousin, un ami… Je suis moi : un garçon de 14 ans… La seule chose que je n’aime pas c’est les Maths…
Anis, 3°D, Collège Victor Hugo

Je ne suis malheureusement pas un exemple, dans ma famille, mais je ne suis pas non plus la honte de celle-ci… Je viens de ce lieu que j’ai oublié, comme chacun d’entre nous, mais que j’essaie d’imaginer : le ventre de ma mère… J’aime de temps en temps être rien qu’avec moi-même…
Charline, 3°A, Collège Henri IV

Je viens de la bas… De loin… Peut-être d’un monde imaginaire… Je ne suis pas lui ni même elle… Je suis juste moi-même : quelqu’un qui n’aime pas écrire et pourtant…
Dieumba, 3°D, Collège Victor Hugo

Je suis un adolescente de 14 ans qui ne sait pas où elle va et cela me fait peur…
Daniela, 3°1, Collège Pierre Brossolette


Andy Warhol



 
APPLAUDISSEMENT

 
Par David Corre

 
 « Franchement, m’sieur, c’était trop bien !
– C’est vrai, ça vous a plu ?, s’étonne Sergio.
– Ah, carrément !, affirme une seconde. 
– Mieux que les fenêtres !, surenchérit une troisième. »
C’est vrai, les grands instants n’ont pas manqué au cours de cette séance – de la bouche de la majorité des élèves, la meilleure séance. Mais pourquoi un tel engouement ? Qu’y a-t-on fait ? Qu’y a-t-on vu ? Qu’y a-t-on entendu ?
Un soupçon de rodomontades. Une bonne portion de sourires. Une pincée de rires. Des minauderies, parfois. Des fêlures, beaucoup. Et des aveux, nombreux. Mais pas beaucoup plus qu’auparavant.
Alors pourquoi donc leur a-t-elle tant plu, cette séance ? Une séance d’autoportraits, a-t-elle de quoi plaire aux élèves ? – Est-ce vraiment étonnant ?
Les élèves aimeraient parler d’eux-mêmes ? Se montrer aux autres ? Se revendiquer ? – Ah oui, vraiment ? S’étonne-t-on réellement ?
À mon avis, on a tort de s’étonner : il fallait s’y attendre, même, je pense. Aujourd’hui plus que jamais, rien de surprenant dans ce goût de se montrer dont peuvent faire preuve nos élèves. C’est de leur temps, après tout : leurs comptes facebook ne révèlent-ils pas en grande partie cette volonté de s’afficher, de se montrer sous leur meilleur jour ? Combien de photos publiées aujourd’hui sur internet montrent quelqu’un dont on devine, par une épaule un peu plus haute que l’autre, que le modèle est aussi le photographe ? La majorité des photos est issue de nos smartphones, si bien qu’ils ont intégré, ces malins petits appareils, dans leur interface, un mode autoportrait. Comment pourrait-il en être autrement ? La technologie s’adapte à nos besoins, à nos modes de vie – à moins que ce ne soit l’inverse. Je ne sais plus.
En tout cas, le résultat est là : nos élèves savent, aujourd’hui, se montrer, se publier, se raconter. Ils n’ont été que quatre ou cinq à ne pas vouloir lire leur texte. Peu nombreux, de nos jours, ceux qui ont méthodiquement raturé – rendu proprement illisible – leur texte. Je crois pourtant que c’est bien ce que j’aurais fait moi-même, à leur place, à leur âge.
Le plus étonnant, pour moi, cependant, aura résidé dans le contenu des textes. Encore une fois : objectif atteint, pour Sergio. Je sais qu’il est souvent bluffé par les résultats de notre classe – grâce à lui, je soupçonne d’ailleurs que la réussite d’un atelier s’évalue davantage à la surprise des textes obtenus qu’à leur adéquation à une attente fixée préalablement. L’animateur est comme un contrôleur : il place les voyageurs dans le wagon, s’assure qu’ils ont leur ticket et le poinçonne, mais il ne connaît pas réellement la destination ni la longueur du voyage.
Un atelier réussi, je crois, c’est un animateur surpris.
 
*** 
 
Mais cela ne le dispense pas de surprendre ses stagiaires.
Cette semaine, comme diraient les élèves, agréablement surpris : dispositif The Voice. Pour s’extraire du regard des autres, pour s’éloigner de l’apparence physique, pour faciliter les éventuelles révélations ou pour empêcher toute tentative de séduction, Sergio tire une table au fond de la classe : il nous faudra tourner le dos au lecteur, nous concentrer sur sa voix, sur ses mots prononcés à haute voix après avoir été couchés sur le papier.
Inflexions du ton. Langue qui fourche. Hésitations et reprises – ils se rendent compte qu’ils manquent de soin. La voix qui tremble un peu, parfois. Le dispositif est miraculeux : les yeux fermés – comme pour redoubler la mise en scène –, je reproduis le portrait de celui qui lit sur mon écran intérieur. J’invoque ses traits. Je le peins avec ses propres mots. Je recrée mes élèves – et je les découvre dans le même mouvement. Je les rends semblables à ce que j’en ai toujours vu et, dans le même temps, à ce qu’ils m’apprennent d’eux-mêmes. Oscar Wilde répétait que la vie imite l’art. J’en suis bien persuadé – et en ce jour plus que jamais.
J’ai l’impression qu’ils ne prononcent leurs aveux qu’à moi-même, à mon oreille. Confessionnal improvisé. On a quitté la classe, on est assez loin des parades habituelles.
De plus, la distance aura eu un autre effet, aujourd’hui, tout aussi surprenant : chaque lecture se clôt par des applaudissements. C’est une première. Que révèle ce besoin ?
Je ne sais pas, mais j’ai entendu expliquer, la semaine dernière, d’où viendraient cette habitude des applaudissements : ils seraient le signe, à distance, de notre envie d’embrasser l’autre, de le serrer dans ses bras – mais, l’espace étant vide, la main gauche ne rejoint que la main droite…
 
***
 
Les autoportraits choisis pour être projetés avaient déjà été vus il y a quinze jours. Quelle joie pour les élèves de les reconnaître, de rappeler à Sergio ce qu’il leur avait dit, de lui montrer qu’ils se rappelaient tout !
Il insiste encore un peu sur cette notion essentielle : l’autoportrait est rarement laudateur. À la différence des clichés qu’on veut afficher sur ses comptes, on ne s’y montre pas nécessairement sous son meilleur jour. Autoportraits de Frida aux sept douleurs, de Frida en garçon, tête presque rasée, ou de Frida à moustaches et sourcils épais, entourée de singes. Autoportrait de Bacon, boursouflé, fendu – affreux. Photos-chocs de Nan Goldin dans tous ses états. Les artistes aiment montrer leurs blessures. Ils aiment s’enlaidir – ou se montrer laids.
Le message est passé, à coup sûr : les textes des élèves s’écartent très souvent de l’autocélébration. Sans fard, ou presque, fictionnant aussi peu que possible, ils ont dit non pas tant qui ils sont que qui ils croient ou voudraient être – et c’est déjà énorme !
Chacun a révélé beaucoup de ses blessures, sans exhibition, avec souvent une grande retenue. Ainsi, je retiens ce désir de très nombreuses fois répété : « Je voudrais que les autres me voient tels que je suis vraiment. »
Volonté ? Désir ? Ou plutôt aveu que chacun se cache sans cesse derrière ses nombreux masques ?
 
Pour moi, quoi qu’il en soit, je les connais un peu mieux : ils ont soulevé un coin du masque.
Et pour le coup, je rejoins mes élèves : c’est vrai que cette séance a été particulièrement réussie !


Jan Van Eyck


 

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